Les quatre éléments – l’eau, l’air, la terre et le feu –, dessinaient la quadrature du cercle Haendélien selon Acis and Galatea samedi sur la scène de l’Opéra de Clermont-Ferrand. Anne-Laure Liégeois, scrupuleux et inspiré géomètre, en traçait l’espace de la poésie avec autant de rigueur que de liberté dans une mise en scène tirée au cordeau. L’eau c’est bien sûr Galatea, fille de toutes les passions qu’elle réveille avec une candeur à damner un anachorète impénitent. La blonde Katherine Crompton nous la révèle, tout aussi bien nymphe fuyante pour être fidèle à sa vocation de fille de Neptune, que tendre bergère ne reculant devant aucun sacrifice vestimentaire pour mettre sa plastique en valeur. Mais que pèserait le plumage sans un ramage au diapason ?
La belle tourterelle joue de la séduction d’un soprano souple au timbre de porcelaine qui illumine le fameux « As when the dove », jusqu’à atteindre des trésors de délicatesse sur « Melting murmurs fill the grove ». Comment dans cette mise en scène ingénieusement allusive, ne pas l’identifier à ce liquide quadrilatère qui ceint un pré carré (dûment engazonné !), de l’accomplissement du destin ? Elle est aussi l’ondoyant miroir où se reflètent le désir et la déraison de ceux qui le traversent. Elle est encore la marge, le seuil qui une fois franchi scelle le devenir des audacieux amants. Car ils se retrouvent alors sur une terre supposée d’Arcadie qui n’en sera pas moins fatale au couple. La terre c’est alors le bon sens de Damon dont les conseils de prudence et mises en garde resteront lettre morte. L’excellent ténor Américain Patrick Kilbride, lauréat du 24e Concours international de chant de Clermont, possède le charisme naturel et l’autorité bien dosée d’un personnage plus complexe qu’il n’y parait. Porté par un médium lumineux et un grain délicat aux accents authentiquement baroquisants, il en traduit avec intelligence toute la profondeur et la sagesse. « Stay, shepherd, stay ! » est nourri de la distinction d’un vécu comédien racé et juste.
Et sans forcer la métaphore comment ne pas voir dans l’Acis de Cyril Auvity une parfaite personnification de l’air, élément oh ! combien ductile ? Il y a chez ce ténor un mélange de présence et de légèreté due à une belle articulation et à une parfaite maîtrise du souffle, qui nous entraîne dans cette atmosphère si particulière propre à la pastorale, et ce, sans nous faire perdre de vue le drame qui se profile. Comment ne pas percevoir dans le transport amoureux de « Love in her eyes » les accents de l’élégie ? Auvity confère à ses inflexions amoureuses la tendresse d’une caresse ! Son duo avec Galatea, « Happy we ! » ne pouvaient que soulever des applaudissements tant leur félicité devient contagieuse. Mais sa vaillance timbrique et la couleur de son registre nous le révèle aussi héroïque et combatif dans « Love sounds th’alarm ».
© Ludovic Combe
Le feu revient naturellement au Polyphème d’Edward Grint, incarnation de l’Etna selon la légende. Mais sans doute plus que son costume rouge, l’incandescence de son timbre d’airain le désigne au rôle. Loin des conventions d’un monstre tonitruant, Anne-Laure Liégeois en fait un homme blessé dans sa fierté, trahi dans son amour. Et s’il bascule dans la violence aveugle c’est plus pour laver son honneur bafoué que par vengeance ou pour assouvir ses bas instincts. Dernière scène d’autant plus terrible sur l’air du « Cease to beauty to be suing » qu’elle reste plus allusive qu’ouvertement explicite à l’image de la pluie de cendre qui ensevelit Acis. Car l’élégance de cette mise en scène consiste bien à s’en tenir à la tragédie qui ne saurait être confondue avec le sordide d’un fait-divers racoleur. Elle joue sur plusieurs niveaux de temporalité, entre des costumes clin d’œil au XVIIIe siècle sans être appuyés, et des décors d’une sobriété minimaliste que légitiment les perspectives épurées d’une rigoureuse géométrisation subtilement soulignée par les lumières de Dominique Borrini.
Sans oublier en lieu et place de sur-titrage, le parti pris de faire intervenir un comédien, Laurent Bellambe, avant chacune des deux séquences. Une mise en abîme qui apportait une résonnance inédite au mythe.
En résumé autant d’éléments qui ne font qu’un pour un plateau homogène magnifiquement illustré par « Wretched lovers ! » le chœur des solistes rejoint par la mezzo Emilie Nicot. La tension atteint un sommet sur la scansion en canon du « Behold the monster » et du fameux « Acis is no more ! »
Mais il fallait que l’esprit souffle pour donner au drame sa véritable dimension. Autrement dit que la musique soit ! Damien Guillon à la tête des quatorze musiciens du Banquet Céleste se devait de faire preuve d’une minutie horlogère. Non content de s’en satisfaire, sa conduite ferme et d’un raffinement enjoué et contagieux, épouse au plus près le travail scénique. Avec en prime ce grain de folie qui soulève les moments d’extrême émotion. Un tel résultat ne peut-être que le fruit d’une implacable discipline qui prend le masque des suavités harmoniques et de la transparence rythmique. Haendel n’est pas autre chose que ces évidences qui en font toute la difficulté.