Drôle de destin que celui d’Adina, farce en un acte, qui aurait été commandée par l’intendant de police de Lisbonne et composée en 1818, pour n’être créée au Teatro São Carlo de Lisbonne que huit ans plus tard. Drôle d’œuvre dont l’origine est des plus composites : seuls trois à quatre numéros sur les neuf que compte la partition sont des compositions originales de Rossini. Les autres proviennent soit d’ouvrages antérieures, en particulier Sigismondo, soit de la main d’un « collaborateur » inconnu.
Pourtant ces origines hétéroclites ne nuisent pas à la qualité de la farce, qui en une heure et quart, concentre sans temps mort airs (en particulier deux beaux airs pour la soprano) et ensembles grisants. L’intrigue se rapproche de celle de Die Entführung aus dem Serail de Mozart. La belle Adina croyant son amoureux Selim mort accepte d’épouser le Calife. Pourtant Selim réapparaît et les deux amants décident de s’enfuir. Ils sont cependant rattrapés dans leur fuite et condamnés à mort. S’agissant d’une farce, tout se résout finalement pour le meilleur : le Calife reconnait en Adina sa fille perdue et bénit son union avec Selim.
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La représentation, qui se déroule dans le charmant Teatro Rossini, débute par une minute de silence pour les victimes de la catastrophe de Gênes. Le contexte solennel n’empêche cependant pas la mécanique comique du maître de Pesaro de fonctionner à plein, bien aidée par la mise en scène de Rosetta Cucchi. Le décor unique (signé Tiziano Santi) est composé d’un gâteau de mariage géant qui recèle les appartements du Calife en rez-de-chaussée et ceux d’Adina au premier étage. Le tout s’anime avec une horde de pâtissiers venant finaliser le décor, des figurines de mariés qui se disputent avant de se réconcilier, une fanfare, des tueurs à gage d’opérette (avec borsalinos, lunettes noires et moustaches de rigueur)… Toute cette agitation participe à la frénésie rossinienne sans nuire en rien à la lisibilité de l’action, grâce à une direction d’acteurs au cordeau.
L’effervescence est également entretenue par la direction de Diego Matheuz à la tête de l’Orchestra Sinfónica G. Rossini, sans sacrifier pour autant la rigueur rythmique, avec des ensembles parfaitement réglés. Le chef vénézuélien retranscrit avec bonheur les climats variés de la partition, faisant ressortir le second degré du grand air final tragi-comique d’Adina, qui pleure, un peu précipitamment, la mort de Selim.
La distribution brille par sa jeunesse, son homogénéité et maîtrise les fondamentaux du chant rossinien. Lisette Oropesa, annoncée souffrante, se régale pourtant visiblement du rôle-titre, qui lui permet de faire montre de sa longueur de souffle, d’une belle projection et d’une technique belcantiste souveraine. La future reine Marguerite dans Les Huguenots à l’Opéra de Paris sonnera peut-être au goût de certains un peu monochrome voire métallique, mais difficile de se faire une idée définitive au vu de son indisposition. Son père a fière allure sous les traits de Vito Priante. Le baryton napolitain conjugue en effet à une belle prestance scénique (qu’il soit en maillot de bain ou en veste brodée), une voix longue et claire à la vocalisation aisée. On comprend qu’Adina ait pu songer un instant céder à un Calife qui sait aussi bien jouer de l’autorité que se faire irrésistiblement caressant.
Levy Sekgapane (Selim), tout frais lauréat du concours Operalia (en 2017), est un parfait contraltino, à l’aigu facile et au timbre léger mais sans nasalités : voilà sans aucun doute un chanteur que l’on croisera fréquemment sur les meilleures scènes rossiniennes. Il trouve en Davide Giangregorio (Mustafa) un comparse également prometteur, sonore et bien chantant. Matteo Macchioni en Ali possède, enfin, tout le piquant nécessaire à ce rôle de ténor de caractère, se sortant avec les honneurs de son aria di sorbetto.