Dans une programmation qui fait la part belle au théâtre de boulevard, l’Odéon, édifié sur la Canebière en 1928, maintient la tradition de l’opérette marseillaise au point que depuis 2002 un concours international d’opérettes s’y tient chaque année. Si les coupes budgétaires incitent comme partout à programmer des œuvres à succès (voir l’entretien avec Bruno Membrey), le théâtre n’hésite pas pour autant à faire revivre des ouvrages oubliés et peu connus du public. C’est ainsi que Jean-Jacques Chazalet, directeur du lieu, a choisi de monter un opéra-comique d’Adolphe Adam, Si j’étais roi, qu’il a lui-même mis en scène. L’ouvrage dont l’histoire se concentre autour d’un modeste pêcheur amoureux d’une belle princesse indienne qu’il a un jour sauvée de la noyade et qui se retrouve roi d’un jour auprès de sa bien-aimée, renoue avec les opéras pseudo-exotiques si prisés au 19e siècle. Mais qui dit théâtre municipal dit aussi finances municipales et donc budget restreint notamment pour les décors. Ces derniers, constitués de panneaux grossièrement peints, représentent un Orient stéréotypé qui se résume à quelques palmiers et à un ciel étoilé. Reconnaissons en revanche aux costumes, très réalistes, le mérite de souligner le fait que l’action se passe aux Indes : les femmes portent le sari et les hommes le turban, le tout dans des couleurs vives et chatoyantes. Il est cependant dommage de voir dépasser des bretelles de soutiens-gorges de ces précieux costumes, principaux garants de l’illusion. Ce n’est qu’un détail certes, mais qui dénote de la finition d’une production.
La salle n’étant pas équipée de système de surtitrage, cela implique des chanteurs qu’ils aient une bonne diction, ce qui est effectivement le cas y compris pour le chœur. Les chanteurs paraissent à l’aise dans les passages parlés, certains étant teintés d’un accent marseillais certes très couleur locale et plein de charme, mais qui tend à décrédibiliser l’exotisme, qui plus est de pacotille. On signalera aussi les hésitations de Jean-Marie Delpas devançant ses répliques à plusieurs reprises et que l’on ne sent pas très sûr de son texte. Mis à part cela, le jeu théâtral sonne plutôt juste : Frédéric Mazzotta campe ainsi un Piféar à la gestuelle caricaturale typique des personnages bouffons tandis que David Grousset, en Roi Mossoul, affiche une démarche noble et élégante. Le plateau vocal s’avère en revanche plus hétérogène : le Zéphoris de Stéphane Malbec-Garcia est remarquable tant au niveau du jeu que de la musicalité qui s’exprime pleinement dans le très émouvant « Si j’étais roi », air qui donne son titre à l’opéra. La diction s’avère excellente et les différents registres bien unifiés. On apprend d’ailleurs dans le programme que le ténor a été finaliste du concours d’Opérette de Marseille en 2003, une récompense amplement méritée. Même si on perçoit chez Férédéric Mazzotta une certaine tension dans l’aigu, il affronte avec vaillance le rôle de Piféar qui requiert une réelle virtuosité. Pour incarner Néméa, Laure Crumière possède la tessiture et le physique nécessaires mais elle peine parfois dans les passages virtuoses. En Zélide, seul autre rôle féminin de l’ouvrage, la rafraîchissante Perrine Cabassud fait entendre une voix souple et légère, très agréable à l’oreille. Quant à Jean-Marie Delpas, la sonorité de basse profonde, large et bien placée, est tout à fait adaptée au rôle de méchant qu’est le traître Kadoor. Le reste de la distribution apparaît plus discutable : David Grousset, en Roi Mossoul, chante en un perpétuel forte qui révèle un manque de maîtrise au niveau de l’émission. Quant à Antoine Bonelli, membre de la troupe sédentaire du Théâtre de l’Odéon et qui chante le petit rôle d’Atar, il fait entendre un accent marseillais prononcé qui, dans ce contexte indien, gâche quelque peu sa prestation. Mais c’est surtout le Zizel de Bernard Albertini qui pose problème : la voix, au vibrato démesuré, semble usée et chevrotante, sans compter les perpétuels décalages avec l’orchestre. Pour ce qui est de la musique, la partition d’Adolphe Adam ne comporte rien de spécialement exotique, mais elle n’en présente pas moins d’épineuses difficultés. Et le manque de répétitions, comme nous l’a confié le chef d’orchestre Bruno Membrey, n’a malheureusement pas permis d’arriver à un résultat satisfaisant avec l’Orchestre du Théâtre de l’Odéon. Ce n’est donc pas tant l’investissement des musiciens, dont on ne doute pas, qu’un temps de répétition insuffisant qu’il faut mettre en cause. Si le pupitre des vents est convenable, les cordes et surtout les violons présentent un problème de justesse permanent. Des moyens insuffisants donc pour un opéra-comique qui en réalité s’apparente à un véritable opéra. Comme on le sait, la fin justifie les moyens mais là, ils étaient semble-t-il insuffisants.