De cette Aida déjà présentée à Bordeaux en 2006 et reprise à l’Opéra Royal de Wallonie jusqu’au 11 avril avec une double distribution, nous ne gardions pas un souvenir saillant. Pour cause.
« Je fais face pour la première fois à un « mythe » du théâtre avec respect et révérence : je n’ose toucher à ce qui a été écrit » explique Ivo Guerra. C’est ainsi que l’histoire se répète, qu’année après année, une Aida chasse l’autre et que du haut de cette mise en scène de l’opéra de Verdi, plus d’un siècle nous contemple. Dans les décors splendides de Giulio Achilli, ponctués là par un obélisque doré, ici par une lune gigantesque, une armée d’éphèbes promènent des accessoires, paisible agitation qui tient lieu de mouvement. Seule concession à la modernité, Amneris au début du 2e acte calme ses ardeurs à coups de fouet. Cette fantaisie mise à part, les héros de l’histoire se glissent dans une Egypte de carton-pâte en prenant garde de ne pas déroger à la convention, les mains levées au ciel quand le sort les accable ou impeccablement alignés en rang d’oignon quand il s’agit de chanter ensemble. De part et d’autre du plateau, le chœur, bras serrés contre le corps, compte les points. Des images oui, certaines colorées par les costumes de Bruno Fatalot, d’autres plus ou moins éclairées par les lumières de Michel Theuil, mais du théâtre au sens où nous l’entendons aujourd’hui, non !
Tant mieux pour la musique qui peut répandre son flot généreux sans que rien ne vienne contrarier son cours. La direction de Paolo Arrivabeni obéit elle aussi à cette vision immuable d’Aida : juste, mesurée, précautionneuse des voix et d’un orchestre dont elle s’emploie à tirer le meilleur. Les partis-pris scéniques n’aident pas toujours à la superposition des plans sonores mais tout est en place et, dans une salle qui n’a heureusement rien de pharaonique, les chanteurs peuvent oublier de hausser le volume. Nino Surguladze, mezzo-soprano au galbe élégant mais aux graves peu projetés, fait ainsi valoir toutes les facettes d’une Amneris moins sauvage que ne le voudrait une robe noire à la traîne gonflée par une poignée de figurants. Ses imprécations manquent d’éclat. Le dos tourné aux prêtres disposés comme à la parade, peut-il en être autrement ?
Sa rivale, Kristin Lewis, impressionnait davantage à Massada en 2011. Le timbre semble durci et les aigus, bien que longuement filés, vacillent parfois. Cette Aida reste pourtant céleste, ne serait-ce que par sa capacité à alléger l’émission, condition requise par l’air du Nil et le duo final. Là est en revanche le point faible de Massimiliano Pisapia, Radames solide, moins fruste que la moyenne, qui a appris auprès de Franco Corelli à négocier glorieusement les notes de passage.
Après un « Ma tu, Re » magistralement phrasé, Mark Rucker tire son Amonasro vers un expressionisme dont il aurait pu se dispenser, son roi ayant suffisamment d’autorité pour ne pas abuser d’effets.
Les autres rôles dont certains issus des Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie – la Grande-Prêtresse de Chantal Glaude – participent à l’homogénéité musicale d’un spectacle dont la totalité des représentations sont dédiés à Gérard Mortier. L’ex-directeur de La Monnaie, partisan d’un art lyrique engagé, aurait-il goûté l’hommage ?
Prochaines représentations : 1er, 2, 4, 5, 11 avril 2014. En direct sur culturebox.francetvinfo.fr le mercredi 2 avril à 20h. Plus d’informations.