Marie-Nicole Lemieux, c’est une voix et un cœur, pourrait-on dire en allusion à l’extrait de Samson et Dalila qu’elle interprète en bis de ce récital parisien et dans lequel elle est aujourd’hui sans rivale. De sa voix, on a déjà dit tout le bien qu’on pensait lors de la parution de Ne me refuse pas, son enregistrement d’airs d’opéras français. Le programme de la soirée en reprend sept des onze titres. Sur la scène comme au disque, on retrouve cet art de la diction qui, dans le répertoire français pour nous francophones, est indispensable. Contrairement à la plupart de ses consœurs contralto (une espèce rare que l’on rencontre surtout dans le baroque ; on pense à Sonia Prina ou Sara Mingardo), le volume ne souffre pas d’un orchestre à l’effectif fourni dont Fabien Gabel maitrise parfaitement l’intensité sonore, réservant ses effets les plus spectaculaires aux seuls passages instrumentaux. Ajoutées à la puissance, l’ampleur autant que la largeur légitiment le choix d’un répertoire qui, pour les voix de cette tessiture, compte peu d’élues. Les graves, même au plus bas de la portée, semblent naturels. La scène d’Odette dans Charles VI, choisie avec audace pour ouvrir le tour de chant, en offre les meilleurs exemples. Un vibrato savamment contrôlé sur toute la longueur empêche l’aigu d’osciller. Les coups de boutoir qu’assène à plusieurs reprises l’air des lettres (Werther) ne le fait pas vaciller. Le timbre moiré garde, dans ses reflets changeants, toute son opulence. C’est précisément ce velours qui rend incomparable « mon cœur s’ouvre à ta voix ». Est-ce lui aussi qui fait de la romance de Mignon, « Connais-tu le pays », un pur moment de grâce ? Pas seulement. Intervient là ce cœur que nous placions pour commencer à l’égal de la voix. Une sensibilité généreuse qui donne à la musique d’Ambroise Thomas l’intelligence que lui refusait Berlioz (le grand absent de cette soirée, dommage : l’air de Didon est l’un des joyaux de Ne me refuse pas). On sent, chez Marie-Nicole Lemieux, les sentiments affluer telle l’eau bouillonnante de la source. Contrôlés la plupart du temps, ce qui donne à son chant ce frémissement rare, elle les laisse parfois jaillir comme lorsqu’emportée par la « danse bohème » de Carmen, présentée ici dans sa version instrumentale, elle bondit de sa chaise pour en chanter avec l’orchestre les dernières mesures. Une même vitalité parcourt la « Habanera » dont on pourrait trouver l’interprétation un peu appuyée. Mais il s’agit du prix à payer pour éviter que, privée de tout effet scénique, cette scie du répertoire ne tourne à vide. Enfin, on le redit car les couplets de la migraine de La fille du tambour-major – dédiée par Marie-Nicole Lemieux à toutes les femmes dans la salle – le confirment, les talents comiques de la chanteuse, un mélange gourmand d’espièglerie et de bonne humeur, sont une mine d’or que les directeurs d’opéras seraient inspirés d’exploiter.
Le programme fait aussi la part belle à l’orchestre. C’est là sa seule faiblesse. Non que l’Orchestre National de France démérite. Au contraire. Mis à part un Cherubini dont le drapé classique échappe à la direction très romantique de Fabien Gabel (et où Marie-Nicole Lemieux parait moins inspirée – est-ce un hasard ?), la formation se présente sous son meilleur jour, particulièrement lors de l’ouverture de Raymond, un des chevaux de bataille de Leonard Bernstein, dont le brio n’a rien à envier à celle de Guillaume Tell (sur laquelle elle louche effrontément). Les scènes dramatiques tirent davantage en longueur mais la faute en incombe à Massenet. Toujours est-il que cette alternance obligée de pages lyriques et symphoniques aurait sans doute demandé une autre composition pour que la soirée décolle vraiment. Le mouvement permanent des entrées et sorties en brise l’élan. Le choix d’ouvrir le récital par un air d’opéra cueille l’interprète et le public à froid. Inversement, conclure la première et la deuxième partie par une pièce orchestrale, aussi brillante soit-elle, nous laisse sur notre faim. Concert ou récital, il eût fallu choisir.