SICILIEN
Roberto Alagna, ténor
Yvan Cassar, piano, arrangement et direction musicale
Stéphane Chausse, flûtes, clarinettes et szxophone
Claude Engel, guitares
Nicolas Giraud, trompette et percussions
Robert Le Gall, guitares, mandolines et violon
Vincent Peirani, accordéon et bandonéon
Nicolas Montazeaud, percussions
Laurent Vernerey, contrebasse et tuba
***
Première partie : Latchès
Programme :
La Danza (Rossini)
Fenesta Che Lucive (Bellini)
E vui durmiti ancora (traditionnel)
Si maritau Rosa (traditionnel), adapration textes : Roberto Alagna
Tarentella Siciliana (traditionnel)
Carrettieri (tradutionnel)
Li Pira (traditionnel)
A lu mircatu (traditionnel)
La valse du parrain (musique de Nino Rota)
Parla più piano (Nino Rota)
Mi votu e mi rivotu (traditionnel)
La Luna mezzo rare (traditionnel)
Cinema Paradiso (Ennio Morricone)
Sicilia bedda (traditionnel)
Lu me sciccareddu (traditionnel)
N’Tintiriti (traditionnel)
Ciuri ciuri (traditionnel)
Vitti na croza (traditionnel)
Olympia, 18 février 2009
Alagna à l’épreuve du marketing
Deux mois après un récital Salle Pleyel qui avait enthousiasmé notre collaboratrice (lire le compte-rendu), Roberto Alagna revient dans le même programme de mélodies siciliennes, cette fois sur la scène de… l’Olympia. Le choix de la célèbre salle de music-hall, après la performance décevante de Roberto dans la Rondine au Metropolitan Opera, après l’annulation de ses débuts dans Andrea Chénier, semble malheureusement consommer la rupture du « ténor » avec l’art lyrique.
Bien sûr, et on pouvait s’y attendre, le programme de ce soir ne lui pose pas plus de problème qu’à Pleyel. Son charme quelque peu nigaud il faut dire, comme un mélange de Bigard et d’André Rieux, continue d’enchanter le public. Accompagné avec talent, l’arrangement (par Yvan Cassar) de « la Danza » de Rossini ou de « Fenesta Che Lucive » de Bellini régale. Ou encore, la sincérité de l’hymne sicilien. En première partie, le programme de swing manouche du groupe Latchès avait déjà mis l’ambiance.
Et pourtant on ressort agacé. Agacé par un ténor sur la voie du déclin qui refuse d’être pleinement le chanteur populaire qu’il aime être, et continue de jouer à Luciano : chaque mélodie doit se conclure par une mini-cadence lyrique, un aigu sur-sonorisé, une main sur le cœur, l’autre tendue vers la foule… Il ne faut surtout pas nous laisser oublier le « Grand Ténor » qui se cache derrière l’anecdote sentimentale de ce spectacle.
La lecture du programme (1) (à laquelle Roland Barthes aurait probablement succombé) atteint à cette fin des sommets de vanité commerciale (assenés avec le plus grand naturel). « C’est simple, c’est beau, c’est lui » (sic), « Pour le vertige d’une voix »… « Non, lui seul aura apporté dans le chant français tant de noblesse et de poésie ».
La nouvelle image d’Alagna se joue ainsi dans un univers flou, aux frontières des genres du lyrique et de la variété, jonglant avec deux techniques différentes (mais malgré tout à l’abri de toute faille (2), « avec le même souci d’exigence »), un univers où l’opéra est ringard et ennuyeux : « avant de retrouver sa voix de ténor lyrique et ses habits de héros, Alagna s’abandonne totalement ». Effrayant : il s’agit de la présentation des Grandes Voix, qui se fait décidemment une drôle d’image de l’art lyrique. Une sentence qui contente sans doute une partie des spectateurs, ennuyés du Palais Garnier, et qui se réjouissent ainsi de pouvoir enfin entendre de la musique « sympa » avec le haut alibi culturel du rayonnement mondial de Roberto.
« Tout Alagna est là » : c’est le mythe obscurantiste de « la plénitude dans la simplicité » ; l’opéra est trop contraignant, l’exégèse artistique surcharge inutilement l’émotion, il ne peut y avoir de sincérité que dans les choses simples, accessibles à tous, etc. Voilà pourquoi Alagna plaît lorsqu’il explore dans ce programme sa crise identitaire : on abandonne les hautes sphères du bel canto, on revient aux racines familiales (on a donc encore le droit, comme dans toutes les interviews du chanteur, à la généalogie de ses passions : l’opéra qui lui vient de sa mère, la variété de son père,…) à l’émotion vraie. Et de l’opéra, de la discographie classique d’Alagna, il ne reste que des mots, des pages de louanges en guise de caution intellectuelle. Tout cela est lamentable. Qu’il est triste de voir un chanteur, rival des plus grands dans un Don Carlos d’anthologie, s’abandonner dix ans plus tard à une telle complaisance médiatique.
Mince, cette voix… Le medium est encore solaire. La diction parfaite. On refuse toujours de croire qu’Alagna ne puisse plus être l’immense artiste qu’il fut. On contemple tout cela, abasourdi, au milieu d’un public en délire, venu donc acclamer, en plus du chanteur, sa propre largeur d’esprit à reconnaître qu’un ténor puisse s’adonner au chant populaire ; et de ce politiquement correct acculturel et écœurant, l’amateur d’opéra sort sans voix.
Romain Louveau
(1) Un catalogue d’inepties vendu 10 euros.
(2) Etrange pourtant, comme on parle de plus en plus de l’aspect barytonnant de la voix d’Alagna au fur et à mesure que sa carrière « populaire » progresse…