Quel cadeau ! L’Armonia Atenea de George Petrou nous offre un inédit : l’Alessandro de Haendel sans Alessandro. Qui l’eut cru ? Max Emanuel Cencic qui devait assurer le rôle du célèbre conquérant Macédonien a été excusé pour raison de santé. Et, déjà, dans la pénombre feutrée du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, l’arrivée enflammée du chef d’orchestre empêche les langues impies de vociférer à propos de l’absence du contre-ténor croate. A celles et ceux qui auraient supputé une représentation bancale, George Petrou répond avec une ouverture foisonnante de tempi volcaniques, laissant présager l’« Empio, Superbo, va altrove ad infuriar ».
Il revient alors à Xavier Sabata d’alterner les rôles d’Alessandro et de Tassile avec une aisance si délicate qu’on voudrait la lui dérober. Son rôle attitré d’amoureux transi de Lisaura semble l’habiter depuis la nuit des temps dans l’aria « Vibra cortese amor ». Ainsi, c’est un Alessandro doux comme un agneau qui illumine les arcanes des auditeurs bercés de vocalises célestes, loin des forti complexes et brillantissimes que les compositeurs baroques n’ont de cesse de flanquer aux personnifications du pouvoir. Il est d’ailleurs presque déroutant de voir cet empereur rivaliser avec Clito, Leonato et Cleone qui, eux, n’ont pas l’air – ni même d’airs – tendre. Si la partition n’a pas été donnée dans sa totalité, peu importe. Eminemment amoroso, l’Alessandro de Xavier Sabata – dont on souhaiterait qu’il parcoure la terre entière – fait l’unanimité.
Xavier Sabata © Parnassus Arts Productions
Dulcinées du grand roi Macédonien, Lisaura et Rossane ne lésinent pas sur les jeux de séductions. Dilyara Idrisova incarne une Lisaura d’une constance prosodique étonnante qu’elle met en valeur dans de langoureux crescendi mais dont la lyrique ornementale et contrastante reste plutôt discrète. Quant à sa rivale, Julia Lezhneva, elle transcende à ravir une Rossane timide et hésitante, parfois même tremblante, prenant son envol avec « Alla sua gabbia d’Oro » et « Brilla nell’alma ». La jeune soprano russe monte finalement sans crainte dans les hautes sphères lyriques emplies d’ornements (on se croirait presqu’au sommet d’un jubé !). Finalement, l’entente semble au beau fixe entre les deux divas : aucune trace de crêpages de chignons comme ce fut probablement le cas entre la Bordoni et la Cuzzoni lors de la création (1726).
Un dernier regard posé sur l’orchestre avant la « tombée de rideau » car il est devenu impossible de se délier de ces mains – celles de George Petrou – entièrement ouvertes, voguant de haut en bas, se disputant le côté cour du côté jardin, sculptant chaque mouvement de la poigne herculéenne à la grâce diaphane, tel l’apanage des plus grands de ce monde.