Alzira est-il vraiment le plus mauvais opéra de Verdi, comme lui-même avait fini par s’en convaincre ? L’opéra de Bilbao donne une des rares chances contemporaines de s’en faire une idée. Certes, ce n’est pas le plus grand livret mis en musique par le compositeur, où même le trio amoureux s’avère bancal : mais pourquoi diantre ce pardon final tombé du ciel et qui laisse pour ainsi dire l’intrigue in medias res ? Et pourquoi cette Amérique latine de feu et de fureur semble-t-elle un pays de bisounours où même les questions raciales sont à peine esquissées ? Certes l’écriture musicale évolue dans une gangue et une structure belcantiste encore indépassable. Pourtant, des phrases verdiennes prennent leur essor, les figures paternelles et filiales voient leurs traits être dégrossis au fusain d’un orchestre déjà musclé. La brièveté de cet opéra, une grosse heure et demie, aide aussi à apprécier cette œuvre, qui pour mineure qu’elle puisse être, propose quelques belles pages : les airs d’exposition des trois protagonistes, les deux duos de la soprano et les différents chœurs.
Toutefois, pour faire éclore un papillon, eut-il fallu défendre Alzira au-delà de l’honorable performance des artistes réunis sur la scène basque. Daniel Oren, vieux routier verdien, navigue paisiblement, au métronome, de l’ouverture à l’accord final, sans tension, sans nuance particulière, avec précision et attention à son plateau. La préparation de l’orchestre et des chœurs n’appelle aucun reproche, même si ceux-ci manquent parfois de puissance.
La proposition scénique de Jean Pierre Gamarra surpique la chrysalide de quelques veines grossières. Choix est fait du minimalisme : un rectangle de pampa, quelques chaises, des rideaux de chaînes, une rangée de spots et quelques effets d’éclairages téléphonés, des costumes ni traditionnels ni contemporains mais assez peu à propos tout comme un direction d’acteur qui se cantonne à régler les déplacements… Le tout est mince pour porter une œuvre au maillage suffisamment lâche pour s’autoriser quelques extrapolations.
© Moreno Esquibel
Juan Jesus Rodriguez domine la distribution de son volume, d’un phrasé verdien élégant et de son timbre mordoré. Outre son air et le duo avec Alzira où il fait montre d’un bel abattage, c’est surtout dans la mort de Gusmano qu’il trouve ses plus beaux accents. Le chant de Sergio Escobar (Zamoro) s’avère plus sommairement solide. Volume et souffle en sont les deux atouts principaux, dans lequel le ténor espagnol puise sans trop compter. Mâle est le portrait, sans autre frisson que celui de cette testostérone. Les deux clés de fa paternelles ne sont guère pourvues par le maître de Busseto, mais fort bien défendues par Josep Miquel Ramon (Alvaro) et David Lagares (Ataliba). Remplaçant Hui Hé, la jeune ibérique Carmen Solis remporte un beau succès dans le rôle titre. La technique belcantiste s’avère tout à fait satisfaisante pour égayer le chant de quelques trilles et staccati précis ou pour effectuer les vocalises du rôle. Celui-ci ne comporte pas de suraigu décoiffant et le soprano ne s’aventure pas à extrapoler. C’est pourtant là son registre le plus sûr, le timbre restant encore un peu vert, cependant que l’ambitus lui fait défaut pour trouver la bonne assise dans le médium et surtout atteindre les notes les plus graves voulues par Verdi.