Après Mireille et Andrea Chénier, c’est au tour de La Sonnambula de faire son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, dans une production créée au Staatsoper de Vienne en 2001, sous la houlette de Marco Arturo Marelli qui transpose l’action au vingtième siècle.
Le rideau se lève sur une somptueuse salle de banquet dans le style années 30 ; au centre les tables sont dressées ; côté jardin, trône un piano à queue derrière lequel de grandes baies vitrées s’ouvrent sur un paysage alpestre. L’ensemble évoquerait le restaurant d’un hôtel de luxe mais la présence d’infirmières et de fauteuils roulants fait plutôt songer à une maison de repos voire un sanatorium. C’est là que le contrat de mariage entre Amina, une employée de la maison, et Elvino est signé. A la fin de l’acte, dans un accès de jalousie, Elvino renverse le piano et brise une vitre. Le même décor, envahi par la neige sert de cadre au second acte. Au fond, la présence d’ une mini scène de théâtre intrigue. La lecture du programme nous renseigne : le metteur en scène explique qu’il s’est inspiré du séjour qu’a effectué Bellini sur les bords du lac de Côme pour y composer son opéra. Là il recevait régulièrement la visite de la Pasta, future interprète du rôle-titre. En somme, dans cette production Elvino est un compositeur, pensionnaire de l’hôtel/sanatorium et Amina, sa diva rêvée, ce que confirme le tableau final au cours duquel l’héroïne chante sa cabalette devant une réplique du rideau de scène du Palais Garnier, vêtue d’une somptueuse robe rouge et couverte de bijoux.
L’idée ne manque pas d’originalité mais ne fonctionne pas toujours, notamment dans le second tableau du premier acte, censé se dérouler dans la chambre du Comte Rodolfo. Ici, ce n’est pas dans le lit de son rival qu’Elvino découvre Amina endormie mais au beau milieu du restaurant, couchée sur une nappe à même le sol, ce qui rend sa jalousie peu vraisemblable. Cette réserve mise à part, il convient de souligner le soin porté à la direction d’acteurs qui ne laisse à aucun moment les protagonistes livrés à eux-même.
Natalie Dessay a mis La Sonnambula à son répertoire voici une dizaine d’années et l’a interprétée sur les plus grandes scènes, de Milan à New-York en passant par Lausanne et Vienne (déjà dans la production de Marelli). Paris l’a entendue au Théâtre des Champs-Elysées en novembre 2006, dans une version de l’œuvre en concert, prélude à une intégrale publiée l’année suivante par Virgin Classics. Son approche du personnage s’inscrit dans la lignée des soprano légers qui, depuis Jenny Lind au dix-neuvième siècle, se sont emparées du rôle, exaltant son aspect élégiaque et diaphane alors que la créatrice, Giuditta Pasta, qui avait également créé Norma et l’Anna Bolena de Donizetti, possédait probablement une voix plus corsée dont l’héritière est sans doute Maria Callas.
Annoncée souffrante, la soprano française a néanmoins délivré une prestation de haute tenue. Seules quelques notes un peu mates dans le bas-médium trahissent la fatigue vocale, tout comme cette légère cassure dans le récitatif du dernier air qu’elle fait astucieusement passer pour une intention théâtrale. L’aigu, en revanche, sonne triomphant jusqu’au contre-mi bémol qui emplit sans peine tout le théâtre. Le personnage est caractérisé avec sobriété, tant sur le plan scénique que vocal, les cabalettes sont ornementées avec goût et sans excès. Natalie Dessay prouve ici qu’elle n’est pas un rossignol mécanique égaré dans l’univers bellinien mais bien une interprète sensible, capable de distiller une émotion palpable, notamment dans le fameux « Ah, non credea mirarti » qui maintient l’auditoire suspendu à ses lèvres.
A ses côtés Javier Camarena est un Elvino de grande classe. Doté d’un timbre clair et d’un aigu aisé, le ténor mexicain possède une ligne de chant finement nuancée qui lui permet d’exprimer avec bonheur les épanchements amoureux du personnage. Son air d’entrée « Prendi l’annel ti dono », phrasé avec élégance, est un régal pour les oreilles. Camarena dispose également d’un medium éclatant qui fait merveille dans les accès de colère de la fin du premier acte. Son interprétation le hisse d’emblée parmi les grands titulaires du rôle.
Michele Pertusi, en revanche, déçoit, non que son art du chant soit en cause, le baryton-basse italien maîtrise pleinement les arcanes du style belcantiste, mais le timbre a paru grisâtre et les graves peu audibles, sans doute une fatigue passagère ? Du coup ce personnage qui est censé incarner une certaine autorité, paraît singulièrement falot d’autant que le second couplet de sa cabalette a été supprimé.
Marie-Adeline Henry campe une Lisa coquette à souhait avec des moyens prometteurs. Quelques stridences dans les aigus de son air d’entrée se sont rapidement estompées et la voix a gagné en assurance tout au long de la soirée. Cornelia Oncioiu possède un timbre chaleureux qui fait merveille dans son emploi de mère attentive et protectrice.
Soulignons également la belle perfomance du Chœur de l’Opéra National de Paris qui, dans cet ouvrage, constitue un personnage à part entière, omniprésent et versatile.
La partition retenue ici est celle que l’on entend habituellement, avec les coupures d’usage, Evelino Pido ne semble pas préoccupé par des soucis d’exhaustivité. Toujours attentif aux chanteurs, le chef italien propose une direction efficace à défaut d’être toujours inspirée. Les tempi, volontiers alanguis, qu’il adopte au cours du premier acte frisent par moment la monotonie. Au II, sa battue plus alerte emporte davantage l’adhésion sans convaincre tout à fait.
Un bilan somme toute positif pour un spectacle qui trouvera sa cohérence au fil des représentations.