Ecouté il y a quinze jours, au Festival de Froville (une Tosca baroque et populaire), ce pasticcio connaît une distribution renouvelée : Mathias Vidal (Don Lidio) a succédé à Valerio Contaldo, Mónica Pustilnik retrouve une formation qui lui est chère, et Diana Vinagre est au violoncelle. C’est surtout le cadre qui a changé : à l’intimité du chœur d’une église romane s’est substituée la nef de l’Auditorium, d’une jauge dix fois plus ample, même si les restrictions sanitaires et la distanciation s’appliquent naturellement.
Outre les problèmes de compréhension de la langue, les madrigaux de la Renaissance et du premier baroque, le plus souvent chantés de façon statique, a cappella, sont d’une approche difficile pour un public non averti. Insérés judicieusement à la trame dramatique du pasticcio, joués autant que chantés, ils se présentent ici en habits colorés, vivants et recèlent une séduction bienvenue. La vaste nef de l’Auditorium autorise une dimension musicale et dramatique amplifiée. L’espace scénique permet à chacun de déployer toute sa gestique comme son chant. A l’acoustique généreuse, les lumières renforcent l’intensité de l’histoire de Cecilia.
La naissance de ce pasticcio, créé à Ambronay, est connue : Francesca Aspromonte, qui participait à une représentation de l’Elena de Cavalli, que dirigeait Leonardo García Alarcón à Montpellier, chanta, au cours du repas qui suivit, une chanson traditionnelle calabraise ou sicilienne, héritée de son père, qui narrait la vie malheureuse de Cecilia, en 17 couplets. La mélodie se mémorise aisément, et le chef-compositeur s’en empara pour développer et illustrer cette narration à l’aide de pièces appropriées empruntées au répertoire baroque, mais aussi élargi à la chanson populaire. Quito Gato réalisa l’orchestration, particulièrement réussie. Trois musiciens pour les cordes pincées (archiluth, théorbe ou guitare, harpe, avec parfois l’épinette), trois pour les cordes frottées (violon, violoncelle et contrebasse), trois pour les vents (flûtes, cornet, basson et positif) : les combinaisons renouvellent les couleurs, et l’union des voix et des instruments est un régal, tout comme les voix féminines a cappella. Chaque interprète, chanteur comme instrumentiste, mériterait d’être cité pour son engagement et ses qualités propres. Lucia Martin Carton, noble espagnole joue son rôle tout en étant la narratrice. Sa voix chaude se marie idéalement à celle d’Ana Vieira Liete, émouvante Cecilia, à la singulière pureté d’émission et au jeu convaincant. Mathias Vidal déborde d’énergie et nous vaut un Don Lidio puissant, tout comme le Santino campé par Filippo Mineccia, impressionnant de force, de projection et d’agilité, au timbre riche comme au jeu dramatique abouti. Peppino, le détenu promis à l’exécution (Matteo Bellotto) est évidemment moins exubérant : la basse est sonore, et son soutien aux nombreux ensembles est apprécié (madrigaux et fugue, écrite par le chef pour la circonstance). L’ensemble instrumental se montre aussi jubilatoire (la saltarelle) qu’empreint de gravité et de tristesse. Ce fut un constant régal. En oubliant la longue parenthèse de la pandémie, il y a bien longtemps que le public qui emplissait l’auditorium n’avait manifesté aussi longuement sa gratitude aux artistes. La salle est survoltée, insatiable : rien moins que trois grands bis, offerts par des interprètes profondément heureux, ont été la récompense. Une soirée mémorable, qui augure bien du retour à la vie. Rendez-vous est pris pour la saison prochaine, où la Cappella Mediterranea nous vaudra des émotions renouvelées.