En avril 2011 Anna Netrebko s’empare du rôle d’Anna Bolena au Staatsoper de Vienne et y remporte l’un des plus grands triomphes de sa carrière, salué par une presse unanime et préservé par un DVD (DGG). Quelques mois plus tard, elle renouvelle l’exploit dans une somptueuse production conçue par David McVicar pour l’ouverture de la saison du Metropolitan Opera. Retransmis dans des centaines de cinémas à travers le monde ce spectacle que le Met propose aujourd’hui en streaming, a définitivement installé Netrebko dans le peloton de tête des meilleures interprètes du rôle et scellé son statut de star internationale. Dès son entrée la soprano russo-autrichienne convainc par l’autorité et la sûreté de son chant là où à Vienne elle avançait avec prudence, comme le montre la cabalette « Non v’ha sguardo » dont les ornementations sont exécutées avec une grande facilité. Tout au long de la soirée le public est sous le charme de cette voix large et saine au son plein et riche, capable d’aligner d’impressionnants forte dans les scènes de colère comme de distiller de somptueux aigus flottants, notamment dans un « Al dolce guidami » aérien, tout empreint de nostalgie. L’interprète nous régale d’une large palette d’affects, du dédain au désespoir, de la colère à la folie dans une scène finale impressionnante dont la cabalette à l’écriture meurtrière « Coppia iniqua », doublée et ornementée, lui permet de trouver dans sa voix des accents rauques qui évoquent ceux d’un fauve traqué. L’effet est saisissant.
Face à une incarnation aussi spectaculaire, rien d’étonnant à ce que la Seymour d’Ekaterina Gubanova paraisse légèrement en retrait. La mezzo-soprano russe ne manque pourtant pas d’atouts, une voix homogène, un timbre délicatement ambré, un legato impeccable. Elle confère à son personnage dont elle excelle à traduire la complexité, une profondeur doublée d’une vulnérabilité intenses, notamment dans sa grande scène d’affrontement avec Anna au début du deux. Stephen Costello campe un Percy héroïque et passionné. Doté d’un timbre séduisant, d’une voix souple et flexible et d’un registre aigu aisé, le ténor américain maîtrise parfaitement la colorature de « Ah così nei dì ridenti » et se montre particulièrement à la hauteur dans le trio « Ambo morrete, o perfidi » à la fin du deuxième acte. Dans le rôle d’Enrico, Ildar Abdrazakov impressionne par sa présence scénique imposante et son timbre de bronze. Il campe un souverain autoritaire et brutal, lascif à ses heures, tiraillé entre son amour pour Seymour et la jalousie que lui inspire toujours Anna. Dans son duo avec la première sa voix se fait tendre et suave tandis que lors du trio du deuxième acte qui l’oppose à Percy et Anna, elle inspire l’effroi. Grande et mince, Tamara Mumford a l’allure d’un jeune éphèbe, un physique qui convient au personnage de Smeton qu’elle incarne avec une voix sonore et fluide et un chant d’un style impeccable. Belles prestations de Keith Miller et d’Eduardo Valdès, parfait dans le rôle du méchant de service.
David McVicar joue la carte du respect des didascalies et du cadre spatio-temporel de l’intrigue. Ainsi les somptueux costumes de Jenny Tiramani semblent sortis tout droit d’un tableau de Hans Holbein. Les décors monumentaux de Robert Jones où le noir et le beige dominent avec par moment un élément rouge vif – le lit de l’héroïne – soulignent l’austérité du palais d’Enrico tout en créant un climat oppressant. La direction d’acteur, sobre et sans esbroufe, n’en est pas moins efficace.
Au pupitre, Marco Armiliato adopte des tempos contrastés, souvent rapides, attentif aux chanteurs. Ses conclusions d’actes témoignent d’un sens aigu du théâtre.