« Torniamo all’antico e sarà un progresso », écrivait Verdi en 1871. Voilà une phrase que Nicolas Joël a dû longuement méditer. Non que l’axiome « Mortier = pas beau » nous paraisse systématiquement contestable, loin de là, mais il semble qu’il y ait eu méprise. En mettant au rancart la Clémence de Titus montée par Ursel et Karl-Ernst Herrmann, le directeur de l’Opéra de Paris manque l’occasion de conserver une de ces mises en scène « modèles » qui lui sont chères : au même titre que les Noces de Strehler (ou le Faust de Lavelli, qui passera cette année à la trappe, curieusement), la production de Titus à Bruxelles en 1982 est aussitôt entrée dans l’histoire de l’art lyrique, et l’on comprend que, dès son arrivée à Paris, Gérard Mortier ait voulu y imposer le spectacle-fétiche qui l’avait suivi partout. Oui, mais voilà : toujours très fidèle en amitié, Nicolas a voulu une fois de plus être sympa avec son copain Willy Decker, dont il avait importé La Ville morte en 2009, puis repris le Vaisseau Fantôme et l’Onéguine en 2010. D’où le retour de la Clémence Decker, et bientôt de la Lulu Decker. Enfin, le vrai problème avec Nicolas, ce n’est pas tant qu’il veuille sauver Willy, c’est plutôt le soutien indéfectible qu’il apporte à son pote Giancarlo, dont on redoute déjà le désormais inévitable retour annuel. Car tout compte fait, cette mise en scène de Decker est plutôt agréable à regarder, malgré ses bruyants changements de décor, qui nécessitent de fréquents baissers de rideaux. Elle a surtout l’intelligence d’expliciter l’action en montrant ce dont le livret se contente de parler, notamment le renvoi de Bérénice, incarné par une figurante à la plastique avantageuse.
Avant de devenir un très photogénique ténor wagnérien, Klaus Florian Vogt fut un temps Tamino, lors de ses débuts à Dresde. On peut s’étonner qu’il se tourne aujourd’hui vers Titus, mais il faut bien reconnaître que son timbre étrange contribue à donner de l’empereur une image juvénile. Vogt vocalise prudemment, mais proprement ; seuls les récitatifs s’avèrent un peu douloureux, car on n’avait plus entendu depuis Peter Schreier un italien aussi tudesque, aussi haché, aussi peu méditerranéen. Hibla Gerzmava, soprano abkhaze, sera prochainement Donna Anna à Covent Garden et Mimi au Met. C’est d’ores-et-déjà une superbe Vitellia, avec des graves faciles et des aigus tranchants, une présence impérieuse sur scène : une vraie tragédienne. Face à elle, le Sesto campé par Stéphanie d’Oustrac n’en paraît d’abord que plus falot et velléitaire. Parcours sans faute, cependant, pour la mezzo française, dont le personnage s’affirme d’air en air au cours de la soirée, et dont seuls les récitatifs gagneraient à s’incarner encore davantage, ce que ne saurait manquer d’accomplir une plus longue fréquentation du personnage. Bel Annio d’Allyson McHardy, Servilia pleine de fraîcheur mais un peu légère d’Amel Brahim-Djelloul ; Publio n’a pas toujours la chance d’être confié à une aussi belle voix noire que celle de Balint Szabo.
Direction très réfléchie d’Adam Fischer, qui adopte parfois des tempi d’une lenteur bienvenue, pour rendre plus humaines les leçons de morale de Métastase (délicat « Torna di Tito al lato ») ou pour donner des inflexions de cajolerie enjôleuse au « Deh, se piacer mi vuoi », mais qui sait aussi se faire très vive, à la limite de la précipitation, et l’on admire Vitellia de se tirer aussi habilement des vocalises ultra-rapides de la fin de son premier air. Avec une Hibla Gerzmava qui s’offre le luxe de murmurer certaines phrases et de ne poitriner aucun grave, un magnifique « Non più di fiori » conclut la soirée en beauté, avant le finale doux-amer qui voit s’écrouler un Titus ébranlé.