Créée l’été dernier au Festival d’Aix-en-Provence, cette Ariadne auf Naxos passe par le Théâtre des Champs-Elysées pour une reprise avec une distribution largement modifiée, mis à part la plupart des seconds rôles qui retrouvent ici leurs emplois précédents. Camilla Nylund campe une Ariadne de belle facture. La voix est belle, bien conduite, avec de beaux piani. On poura certes préférer des voix plus larges, des timbres plus capiteux ou plus personnels, mais la musicalité est au rendez-vous. Il en va de même de la projection, adaptée à la taille du Théâtre des Champs-Elysées. Dans le rôle court mais particulièrement difficile de Bacchus, Roberto Saccà force le respect. Certes, les graves sont peu projetés, le bas médium affligé d’un léger chevrotement. Mais le haut médium est franc, claire et incisif, et c’est ce registre qui est le plus sollicité. On pourra aussi regretter que certains suraigus soient un peu trop teintés de voix mixte pour ce personnage héroïque, mais, à 58 ans, peu de chanteurs sont capables d’une prestation aussi intègre. On regrettera toutefois une interprétation assez sommaire. Olga Pudova fait de son mieux pour chanter toutes les notes de la partition, mais le suraigu est tantôt flûté, tantôt à la limite de la justesse. Le personnage manque d’abattage, de gaité, d’insouciance, d’espièglerie. Son grand air commence d’ailleurs davantage comme la profession de foi d’une jeune femme aigrie, plutôt qu’il n’est l’expression d’une certaine joie de vivre insouciante. A la décharge du soprano, sans doute faut-il y voir aussi une volonté de la mise en scène. Le Compositeur de Kate Lindsey (dans cette production, une compositrice) est un peu incolore. Le médium est assez beau, mais rarement sollicité, et la tessiture aigüe pose quelques problèmes de stridences. Le personnage est sympathique mais insuffisamment caractérisé, ne donnant jamais l’impression de se consumer sur scène. On ne croit guère à sa colère finale (d’ailleurs noyée dans un capharnaüm orchestral). Le trio féminin constitué par Lucie Roche en Dryade, Beate Mordal en Najade et Elena Galitskaya en Echo est tout simplement parfait, mais nous avouons avoir eu un faible pour la première, à la projection insolente. Côté masculin, nous avons notamment apprécié l’Intendant solide de Maik Solbach, l’excellent Jean-Sébastien Bou qui tire au maximum partie d’un rôle assez court, et le Maître de ballet de Marcel Beekman, véritable chanteur-acteur, particulièrement sonore. La mise en scène en fait une « folle furieuse », un peu trop caricaturale (on aurait pu éviter les chaussures à talons hauts), et sans véritable ressort comique. N’est pas Jean Poiret qui veut…
A la tête de l’Orchestre de chambre de Paris, Jérémie Rhorer tente une approche dépoussiérée de l’ouvrage. L’orchestre sonne sec, sans moelleux, bien loin du post-romantisme allemand (peut-être fantasmé). La tentative est louable, mais le résultat à l’arrivée fait penser à la Galerie des Glaces revue par Valérie Damidot pour M6. Si le Prologue nous laisse indécis, l’acte nous confirme dans nos réserves. La scène d’entrée des « italiens » par exemple, sans rupture de tempo avec les lamentations d’Ariadne, nous a semblé une hérésie : les deux mondes de Zerbinetta et d’Ariadne, « lustige » et « traurige » doivent s’opposer, dialoguer, pas fusionner dans la mollesse dès la première note.
La production de Katie Mitchell est très fouillée et d’un certain réalisme. Pour une fois, on peut croire à un opéra joué dans un salon privé. Très agitée, elle fourmille malheureusement d’idées saugrenues. Passons sur celles qui détournent inutilement l’attention, comme si le spectateur était un abruti incapable de se concentrer sur la musique (l’agitation pendant le prélude musical). Il est certes plausible qu’Ariadne soit enceinte de Thésée, mais était-il nécessaire d’assister à l’acouchement (nous y avions déjà eu droit dans Lucia di Lammermoor) ? Il y a souvent chez Mitchell cette sorte de complaisance dans la trivialité au prétexte du contexte. Modifier le texte parlé, ce n’est pas le scandale du siècle, mais quand il s’agit de rajouts entre deux mesures d’Ariadne, c’est inutilement gênant. Plus généralement, les parties légères nous ont paru d’une tristesse à mourir (figurer les personnages de la Commedia dell’arte en simples clowns est déjà une grossière erreur, voire une trahison de l’esprit ayant présidé à la création de cette oeuvre : l’ouvrage est quasiment contemporain du Rosenkavalier où figure un « ténor italien » …). Enfin, la scénographie a un air de déjà vu, avec ses cases proprettes. Malgré ces réserves, on saura toutefois gré au Théâtre des Champs-Elysées de monter les opéras de Richard Strauss, tâche à laquelle l’Opéra national de Paris, sous le mandat de Stéphane Lissner, semble avoir totalement renoncé depuis plusieurs saisons.