Ce dimanche 26 avril, à 13h30, Marc Clémeur présentait la saison 2015-16 de l’Opéra du Rhin, qui s’ouvrira avec le Penthesilea de Pascal Dusapin. La tragédie de Kleist avait inspiré en 2008 un opéra à René Koering, Scènes de chasse, titre qui pourrait en partie s’appliquer à la production d’Ariane et Barbe-Bleue proposée le même jour à Strasbourg. Pour échapper au huis-clos étouffant prévu par le livret de Maeterlinck, Olivier Py a eu l’idée de découper sa scène en deux espaces superposés, pour ouvrir sur un ailleurs la partie supérieure, « sorte de grande fenêtre dans laquelle apparaissent tous les fantasmes, les rêveries, les désirs inassouvis, les personnages fantasmatiques ». Les fantasmes en question se déroulent au milieu d’une forêt, et l’on y voit Barbe-Bleue et ses sbires pourchasser des jeunes filles puis les consommer rituellement. On retrouve là les figurants entièrement nus et masqués chers au metteur en scène, dans le décor perpétuellement mobile de Pierre-André Weitz. C’est aussi dans ce vaste cadre qu’apparaissent les pierres précieuses découvertes dans les différentes salles (il n’y a ici qu’une seule porte qu’on ouvre à chaque fois). La partie basse de la scène, en revanche, est immobile et obscure : c’est par là qu’arrive Ariane, qui semble entrer dans le château par effraction, c’est là qu’elle découvre les cinq femmes qui l’ont précédée, et c’est là qu’elles retournent au troisième acte. Tout cela se laisse regarder, mais il n’est pas tout à fait certain qu’Olivier Py ait su, mieux que d’autres, surmonter les écueils du livret, où l’action est tantôt quasi irreprésentable (Ariane perçant la muraille pour laisser entrer la lumière), tantôt non délibérément représentée (l’arrivée d’Ariane, la capture de Barbe-Bleue). Cette production nous montre la révolte des paysans, mais celle-ci paraît un peu maigre, avec ces danseuses déguisées en homme qui traversent et retraversent inlassablement la scène de gauche à droite.
© Alain Kaiser
Avec Daniele Callegari, l’Opéra du Rhin a trouvé un chef soucieux de défendre l’œuvre de Dukas, qui est parvenu à tirer le meilleur de l’Orchestre symphonique de Mulhouse. Cette formation n’avait pas toujours pleinement convaincu lors de précédentes prestations lyriques à Strasbourg, mais les progrès accomplis sont cette fois tangibles. Satisfecit également pour le Chœur de l’Opéra du Rhin : les exclamations du premier acte ne sont pas toujours très claires, mais Dukas l’a voulu ainsi. Malheureusement, les voix solistes, elles, ne sont pas toutes à la hauteur. Bien sûr, il y a la formidable Nourrice de Sylvie Brunet-Grupposo, toujours aussi admirable de présence et de diction dans un de ces rôles faits pour elle, qui surmonte sans difficulté apparente la masse orchestrale. Il y a aussi l’excellente Aline Martin, jeune mezzo au timbre prenant dont on apprécie chacune des interventions en Sélysette : du 26 mai au 28 juin, elle sera la Deuxième Dame dans La Flûte enchantée à Bastille, mais l’on espère bientôt la réentendre dans un rôle plus développé. Les membres de l’Opéra Studio de l’OnR se partagent les très petits rôles restants, avec un français toujours un peu exotique pour les messieurs. Hélas, pour les deux personnages du titre, il faut déchanter. Que Marc Barrard chevrote de manière systématique, on le savait déjà, mais Barbe-Bleue a vraiment fort peu à chanter, et les théâtres semblent avoir du mal à confier ce rôle à un chanteur en pleine possession de ses moyens. Pour Jeanne-Michèle Charbonnet, on comprend que cette artiste, qui était il y a peu une grande soprano wagnérienne, se rabatte désormais sur ces rôles de mezzo dont s’emparent plus d’une ex-soprano, Herodias ou Klytemnestre. L’actrice reste habitée, elle retrouve ici la silhouette qu’Olivier Py lui avait donnée en Isolde, mais les notes graves sont désormais les seules qu’elle est en mesure d’émettre avec une certaine intégrité, le reste de la tessiture étant affligé d’un vibrato redoutable. Déjà en 2011, lors des représentations d’Ariane et Barbe-Bleue à Barcelone (DVD Opus Arte), le problème était sensible, il n’a fait que s’amplifier depuis. Et s’il y avait parmi les chanteuses françaises une Ariane possible ? La question mérite qu’on se la pose.