Richard Strauss (1864-1949)
Ariadne auf Naxos
Opéra en un acte avec prologue sur un livret de Hugo von Hofmannsthal
Nouvelle Production
Mise en scène : André Engel
Décors : Nicky Rieti
Costumes : Chantal de la Coste-Messelière
Lumières : André Diot
Chorégraphie : Isabelle Terracher
Dramaturgie : Dominique Muller
Le Majordome : Ruth Orthmann
Le Maître de musique : Werner Van Mechelen
Le Compositeur : Angélique Noldus
Le Ténor/Bacchus : Michael Putsch
Un officier : Chrisitian Lorentz
Le Maître à danser : Guy de Mey
Le Perruquier : Jean-Gabriel Saint-Martin,
Un Laquais : Olivier Déjean
Zerbinette : Julia Novikova
La Prima Donna/Ariadne : Christiane Libor
Arlequin : Thomas Oliemans
Scaramouche : Xin Wang
Truffadino : Andrey Zemskov
Brighella : Enrico Casari
Naïade : Anaïs Mahikian
Dryade : Eve-Maud Hubeaux
Echo : Anneke Luyten
Orchestre Symphonique de Mulhouse
Direction : Daniel Klajner
Strasbourg, Opéra, 7 février 2010
Ariane ne décolle pas
Lorsque le critique atteint un certain âge, et qu’il a donc acquis une certaine “expérience”, il reste marqué par certaines productions passées et par des chanteurs qu’il estime indépassables, tout au moins inoubliables. D’ Ariadne auf Naxos, nous gardons en mémoire pour notre part la production de Robert Carsen créée à Munich en 2008, sans doute l’une des plus grandes réussites du metteur en scène canadien et sûrement comme l’un des plus beaux spectacles que nous ayons vu. La profondeur du travail de Carsen alliée à une beauté esthétique renversante trouvait son climax dans un duo final et un “épilogue” scénique à couper le souffle. Précisons bien que cette réussite ne tenait pas uniquement à des moyens financiers certes conséquents mais bel et bien à l’imagination et la perspicacité du propos de Carsen. Et c’est sans doute là que pêche la nouvelle production de l’ouvrage par l’Opéra National du Rhin car il faut bien avouer qu’André Engel n’a visiblement pas grand chose à dire sur Ariadne auf Naxos… C’est du moins ce qui ressort d’un spectacle plat et triste.
Le rideau s’ouvre sur un couloir aux peintures en cours de rénovation et agrémenté de portes, d’un escalier et d’un piano. Un espace aussi exigu (2 mètres de profondeur) pourrait sans doute donner lieu à des jeux de scènes inventifs, mais il n’en est rien ici, et tout le Prologue peine à trouver le rythme animé que la musique et le livret apportent. Tout cela est bien sage, et c’est tout juste si l’arrivée des saltimbanques arrache un sourire.
Le majordome est joué par une femme, sévère et en pantalon, sans que cela apporte grand chose à l’action. Elle débite de manière sèche les instructions de son maître et lorsque, agacée des remarques des uns et des autres, elle termine son monologue dans un allemand guttural, mécanique et crié, nous n’avons pu nous empêcher de trouver cet humour un peu douteux…
Nous retrouvons cette majordome dans l’Opéra, accompagnant le fameux maître des lieux, avec femme et enfants, qui s’installent à droite de l’avant scène. Ils assisteront, en partie du moins, au spectacle qu’ils ont commandé. Nous retrouvons également le compositeur, accompagnant même le monologue d’Ariadne au piano (on est alors au bord du kitsch !) puis sortant, puis revenant sans que l’on comprenne les raisons de ces allers-et-venues si ce n’est pour montrer que le spectacle est en train de se faire (le maître de musique guide même la chanteuse qui fait l’Echo…). Toutes ces apparitions, et disparitions, n’apportent finalement rien à l’action et détournent même l’attention du principal. C’est que, sans doute, André Engel semble n’avoir pas été inspiré par la partie « Opéra » : il ne se passe pas grand chose… Le décor est assez laid (une île avec grotte), voire incompréhensible sur sa partie droite (est-ce une crique ?), et, là encore, bien peu exploité. Le pire étant l’air de Zerbinette où il ne se passe absolument rien, ce qui, ajouté au manque de sex appeal vocal de l’interprète, rend cette scène d’une grande platitude. Un comble !
La troupe italienne, parfois déguisée en Marx Brothers, peine là encore à faire sourire. Leur numéro dégénère même après l’air de Zerbinette : tous essaient d’attraper celle-ci, bousculant ainsi la maîtresse de maison, ce qui a pour résultat de la faire fuir, avec mari et enfants (ah non, les enfants auront préalablement été mis au lit par la majordome !).
L’arrivée de Bacchus n’est pas plus réussie. Sorte de Popeye tatoué, avec t-shirt trempé et baluchon, Bacchus arrive sur scène trop tôt (ce qui rend incompréhensible la confusion d’Ariadne le prenant pour le « messager de la mort » qu’elle attendait : là, elle aurait dû réaliser bien avant que ce n’était pas lui !) et en repart seul, baluchon sur le dos. On est loin de la « métamorphose » qu’il exprime : « Oui, c’est toi que mon cœur attendait, Maintenant, je suis différent de celui que j’étais ! De tes souffrances je suis riche, et mon être brûle du plaisir d’un dieu ! Les astres peuvent s’éteindre sans qu’à mon étreinte la mort t’enlève ! ». Ce qu’on voit exprime tout l’inverse : « Tu me fatigues, je te laisse où tu es et je fiche le camp ». Il n’y a donc absolument aucune magie, aucune émotion dans le finale dont pourtant la musique est d’un sublime achevé… Quelle déception !
Cette platitude scénique aurait pu être compensée par une interprétation musicale superlative, or la léthargie semble parfois toucher les musiciens. Ce n’est pourtant pas la faute à Daniel Klajner qui se démène en fosse pour animer tout cela. Trop peut-être. On a l’impression que le chef “surdirige”. Le discours est assez anguleux et surtout très symphonique. A ce titre, on lit avec grand intérêt le programme où figure une interview du chef par Mathieu Schneider, un spécialiste de cette musique. Malgré les observations et les arguments de celui-ci, Daniel Klajner conçoit Ariadne auf Naxos comme un opéra « dans la tradition symphonique ». Effectivement, l’aspect chambriste est le plus souvent effacé au profit d’un son généreux et ample. On ne sera pas toujours convaincu par cette vision qui nous semble sacrifier une des particularités de l’ouvrage, cette ambivalence entre opéra de chambre et opéra symphonique (car symphonique, toute la scène finale l’est bien en effet). Il est vrai que l’Orchestre peine dans les moments chambristes justement. Le merveilleux Prélude de l’Opéra est ainsi assez terne et fragile, tout comme le tout début du Prologue.
La battue énergique, parfois surdimensionnée, de Klajner, peine donc à entraîner l’ensemble des chanteurs, « plombés » par la mise en scène. C’est fort dommage, car le très beau compositeur d’Angélique Noldus aurait eu besoin d’un coup de pouce pour tout à fait s’envoler et nous transporter avec sa jeunesse, son entrain, sa voix belle et idéale pour le rôle malgré un petit manque de puissance encore. Il en sera de même pour l’Ariadne de Christiane Libor dont on aurait aimé profiter davantage de la voix superbe et d’une belle ligne de chant (hormis quelques sons bas). Ce sont là deux talents à suivre assurément. Nous avons été moins convaincu par la Zerbinette de Julia Novikova dont le manque de charisme associé à un timbre assez commun peinent à emporter l’adhésion et laissent finalement assez indifférent aux prouesses vocales, pourtant effectuées avec précision.
Le Bacchus de Michael Putsch est viril à souhait et assure crânement sa partie éprouvante avec des aigus solides (parfois un peu en force cependant).
Il y a peu à dire sur le reste de la distribution, car tout « ronronne » sagement. Seul Guy de Mey tire son épingle du jeu en efficace Maître à danser. A noter également un beau trio de femmes pour la Naïade, la Dryade et l’Echo.
Pierre-Emmanuel Lephay