Bousculée par des intermittents en goguette et finalement arrosée de pluie (voir brève du 5 juillet), la première représentation d’Ariodante au Festival d’Aix avait laissé la critique perplexe. L’on pressentait cependant que les mouvements sociaux et les caprices météorologiques, longuement commentés, n’étaient pas les seules causes de l’insatisfaction exprimée.
Les températures sont maintenant devenues plus clémentes et samedi dernier, seuls les pigeons s’ébrouant sur les toits troublaient l’attention du public. Les tenants de la tradition chevaleresques ont continué cependant de battre froid un parti-pris dramaturgique qui boute hors de scène armures, oriflammes et lansquenets. L’action reste située en Écosse mais, pour gagner en profondeur psychologique, a été transposée dans un XXe siècle imprécis. Les contraintes inhérentes à la scène de l’Archevêché justifient un décor unique divisé en quatre espaces représentant la maison du Roi, devenu chef d’une communauté de pêcheurs roux comme des irlandais. Des marionnettes prennent en charge les ballets que l’espace imparti n’autoriserait pas. Une réflexion approfondie sur les caractères des rôles principaux a placé le plus mouvant d’entre eux, à savoir Ginevra, au centre de l’action. Blessée par les accusations dont elle a fait l’objet, elle choisira de contredire le livret en quittant la maison paternelle plutôt que de participer à la liesse finale. Cette entorse au texte a incommodé les puristes alors qu’elle nous semble, au contraire, témoigner de l’intelligence de l’approche. Pourtant la soirée, commencée à 21h et achevée à 1h30, finit par paraître longue. Richard Jones et son scénographe Ultz ont pris soin de veiller à la continuité de l’action, à rebours de la partition qui alterne, d’un bout à l’autre, récitatifs secs et airs da capo. Les reprises sont presque toujours variées, mais la direction d’Andrea Marcon, si appliquée soit-elle, peine à trouver les contrastes qui attiseraient le propos musical et le Freiburger Barockorchester ne dispense pas les mêmes sortilèges sonores que la veille dans La Flûte. Les cors et trompettes, notamment, outragent de manière éhontée la plus élémentaire des justesses.
© Pascal Victor / artcomart’
A faire de Ginevra la protagoniste de l’opéra, Ariodante n’en paraît que plus en retrait. Dans un rôle taillé à la mesure du célèbre castrat Carestini, Sarah Connolly manque décidément d’éclat. « Scherza infida » laisse de marbre, « Dopo notte » ne jubile pas. Les numéros se succèdent sans que la chanteuse britannique parvienne à les animer, comme si les notes glissaient à travers les mailles d’une voix inerte. Est-ce à dire que Patricia Petibon tire la couverture à elle ? Oui et non. La présence de la « Fifi Brindacier de l’art lyrique » est indéniable, la longue plainte de « Il mio crudel martoro » saisissante mais ses excès expressifs dérangeront ceux qui n’apprécient pas outre mesure les nombreux effets – souvent disgracieux – dont la soprano habille son chant. Enfin, le timbre et la technique de vocalisation de Sonia Prina mettent hors jeu son interprétation de Polinesso.
A défaut, les seconds rôles prennent le pas sur les premiers. Basse issue de l’Académie européenne de musique, Luca Tittoto possède une autorité et une agilité vocales qui lui ouvrent grand les portes du répertoire belcantiste, qualités auxquelles s’ajoutent une noblesse et une sincérité de circonstance. David Portillo s’empare de Lurcanio sans trébucher sur les innombrables vocalises écrites à l’intention de John Beard, le créateur de Jupiter dans Semele. Ce ténor, dont la vocalité s’apparente à celle de Richard Croft, peut envisager à terme bon nombre de rôles haendéliens et même rossiniens. Dans ce tournoi vocal qu’est toute représentation d’Ariodante, le sexe fort prendrait donc l’avantage si Sandrine Piau en Dalinda n’exposait la maîtrise d’un style qui semble étranger à ses consœurs. Le bien-fondé de l’ornementation, l’égalité des registres, la liberté de l’aigu, le trille et, tout aussi indispensable, l’audace rappellent les lois qui doivent régir cette musique et que résument deux mots dont d’autres ici ont parfois oublié le sens : bel canto.