La création du Messie avait été prévue par Haendel pour le temps Pascal, mettant ainsi à la disposition de la prédication et de la prière pénitentielle, le ressort dramatique et musical de l’oratorio. Aussi, présenter un nouveau Messie sur les planches de la salle Pleyel à la veille de Pâques était une initiative tout à fait louable de la part d’Hervé Niquet et de son orchestre, le Concert Spirituel : une aubaine pour notre Salut, dans le respect des intentions du compositeur.
Pourtant il faut bien reconnaître que la proposition était ambitieuse. Depuis 1742, l’année de sa création, on compte autant d’interprétations du Messie que de faux prophètes. Destinée à être jouée au bénéfice d’œuvres de charité, la formation d’origine était volontairement légère et peu coûteuse, comprenant 30 musiciens et 31 choristes. Cependant, d’un spectacle sur l’autre, le maître varie ses orchestrations, si bien qu’aucune en particulier ne peut être considérée comme authentique. Après sa mort, l’œuvre remporte un tel succès que la tentation est grande pour ses interprètes d’en faire un spectacle plus démonstratif, en modifiant les tempi, en coupant certaines parties et en ajoutant choristes, cuivres, et même gongs et cymbales dans certains cas ! C’est ainsi qu’entre 1784 et 1791, le Messie fut flagellé par 500 musiciens au cours des commémorations Haendel de la Westminster Abbey, et crucifié par 3000 autres entre 1857 et 1926 au cours du Festival Haendel du Crystal Palace. Heureusement depuis 1980, plusieurs chefs se sont appliqués à ressusciter le Messie, et les recherches musicales menées au cours de l’année Haendel ont fini de lui ôter ces épines.
L’interprétation d’Hervé Niquet ce soir se situe dans la lignée de ces nouvelles recherches, s’attachant à retrouver une couleur musicale plus haendelienne. L’orchestre compte 29 musiciens jouant sur des instruments baroques. Le chœur est composé de 27 chanteurs, dont seulement 9 femmes et 18 hommes parmi lesquels six hautes-contre, rétablissant ainsi l’équilibre vocal. 4 solistes dont, fait rare, une contralto, finissent de composer l’ensemble.
L’orchestre du Concert Spirituel, en formation réduite est stupéfiant d’inventivité et de qualité sonore. Les sons droits ou vibrés, tantôt ronds, tantôt râpeux, cherchent constamment à sous-tendre le phrasé des solistes. Les attaques sont précises et enlevées et les silences habités de leur exacte densité. Les rythmes pointés des archets imitent le son de la flagellation et le frémissement des cordes semble évoquer le battement d’ailes des anges dans le « But who may abide ». Malheureusement, le solo de trompette abominablement raté dans le triomphal « The trumpet shall sound » vient gâcher cette admirable performance.
Le chœur est en revanche, d’une qualité irréprochable. Mêlant les styles les plus divers, depuis les blocs choraux massifs jusqu’aux contrepoints les plus travaillés, il sait se faire délicat et nuancé, sans perdre ni énergie ni puissance, et tout en préservant l’équilibre de chacune des voix. Répondant docilement aux directions de son chef, le chœur ainsi réduit du Concert Spirituel est capable de tant de nuances que pas un « Hallelujah » n’est chanté deux fois de la même manière.
Quant aux solistes, leur performance est plus mitigée. On ne saurait critiquer la voix fraîche et fruitée de la soprano Rosemary Joshua. Pourtant, son interprétation semble légèrement incongrue dans ce décor musical religieux. Celle qui cumule à son répertoire tous les plus grands rôles de nymphettes, détonne dans cet univers qu’on aimerait plein d’une joie sacrée, loin des vocalises sensuelles du « Rejoice greatly » et des effets dont elle orne le « There were shepherds » et l’on regrette un peu l’interprétation sobre et recueillie de Margaret Marshall enregistrée en 1982.
Le contralto de Sara Mingardo, en revanche, se prête à merveille à cette leçon spirituelle. Dès sa première apparition, « But who may abide », sa voix s’élève, reconnaissable entre toutes, profonde, sombre et moelleuse. Puis, le chant des contrebasses et des violoncelles se dégageant du reste de l’orchestre vient dialoguer avec le sien : « O thou that tellest good tidings to Zion ». Son aisance est remarquable dans l’émission. Son agilité dans les vocalises, le contrôle constant de la ligne, font naître un chant noir, ciselé, libéré.
Andrew Tortise quant à lui est un habitué du Messie qu’il a déjà chanté à de nombreuses reprises. Ce qui est une chose plutôt surprenante : sa voix au timbre clair mais un peu pincé paraît décalée par rapport au registre plutôt bas de sa partie, notamment dans le « Ev’ry valley shall be exalted ». Très inégal,il fait preuve d’une belle longueur de souffle dans le « Comfort ye », mais se montre décevant dans le « Thy rebuke hath broken His heart » : la voix devenue râpeuse manque alors de stabilité.
C’est en définitive Roderick Williams, qui, des quatre solistes, nous réserve les plus belles surprises. Sa voix ample et timbrée sait aussi être puissante. En atteste le « The people that walked in darkness ». Agile, le baryton est capable des plus tortueuses vocalises et de merveilleuses nuances, comme il le montre dans « Thus saith the Lord ».
En définitive, Hervé Niquet tient ce qu’il promet. Sans prétendre révolutionner l’interprétation moderne du Messie de Haendel, il nous offre un Messie haut en couleurs, peint d’une large palette de nuances, autorisées par sa petite formation qui permet de conserver l’équilibre entre orchestre, chœur et solistes. La direction, jamais dogmatique, adapte avec souplesse les tempi aux différents thèmes et genres musicaux de la partition permettant de retrouver une véritable diversité et quelques partis pris originaux dans cette œuvre tant et tant de fois entendue. Voilà un Messie auquel nous ne nous attendions pas.