Comme beaucoup de chanteurs dont la renommée repose aussi sur des talents d’acteur, Ruggero Raimondi s’essaie à la mise en scène d’ouvrages lyriques et, comme souvent en de pareil cas, l’approche opte pour la forme la plus classique qui soit. Rien dans cette nouvelle production d’Attila présentée à Liège en ouverture de saison ne vient contrarier un livret dont la pauvreté dramatique aurait exigé plus d’imagination. La démarche avant tout esthétisante se réalise à travers le décor monumental de Daniel Bianco, imité des tableaux de Véronèse, tel un hommage déguisé à la ville de Venise où fut créé en 1846 cet opéra. Des pieds de colonnes richement ornés de bas-reliefs et des marches définissent l’espace et contraignent le mouvement de manière suffisamment habile pour que les nombreuses entrées et sorties des choristes paraissent fluides. Seule l’utilisation de plateaux superposés, à partir d’un système de vis infini unique en Europe, vient ancrer le spectacle dans notre siècle. C’est beau et ce n’est que cela. En l’absence de tout indice supplémentaire, le spectateur d’aujourd’hui se voit obligé de s’en remettre à sa propre culture ou à la lecture du programme, heureusement plus explicite, pour comprendre les enjeux politiques d’une œuvre résolument patriotique. En 1846, dans une Italie en quête d’unification, le jeune Giuseppe Verdi utilise sa musique comme moyen de propagande. Tout dans Attila se veut un appel à la révolte contre l’oppresseur autrichien : le texte dont la lecture n’a d’intérêt que prise au second degré, la brutalité de l’écriture musicale, le traitement de la masse chorale, le format héroïque des voix en lice…
Mieux que la mise en scène, l’interprétation musicale donne à éprouver ce vent de révolte, jusqu’à un certain point. La direction de Renato Palumbo est animée de l’élan martial sans lequel Attila ne saurait guerroyer mais l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie a fort à faire pour surligner tous les effets induits par la partition. Surtout le Chœur, propulsé au premier plan, peine à rendre saisissants les nombreux contrastes sonores.
Dans un premier temps, certains de nos héros apparaissent fatigués. Ainsi, ce n’est pas au prologue, dans le nationalisme exacerbé de son « Avrai tu l’universo, resti l’Italia a me » que Giovanni Meoni puise l’inspiration pour composer le général romain Ezio. La réplique, connue pour avoir enflammé à l’époque les théâtres, passe relativement inaperçue, trop large pour une voix qui n’a pas encore trouvé ses marques. Il faut attendre la scène du 2e acte « Dagl’immortali vertici » pour que le baryton retrouve un semblant de mordant et que se dessine le combattant noble et féroce.
Roi des Huns, Michele Pertusi l’est moins par l’autorité que par l’agilité d’un chant qui a beaucoup combattu sous les drapeaux rossiniens. Le courage du guerrier, la noirceur du tyran ne sont pas les caractéristiques premières de cet Attila au timbre trop émoussé pour impressionner. Mais l’aigu, souvent sollicité, reste vainqueur et le sens de la parole verdienne, servi par une technique raffinée qui nous vaut des airs intelligemment variés, finit par imposer le visage humain d’un personnage dont le paradoxe est d’apparaitre comme finalement le plus sympathique de l’opéra.
A l’applaudimètre pourtant, Giuseppe Gipali l’emporte d’une large tête. Peut-être parce qu’il est ténor et surement parce qu’il compense une projection moindre et un défaut de métal par un souffle inépuisable. Quelques notes longuement tenues en fin d’air lui valent de décrocher le cocotier. Si Gipali cependant est verdien, il l’est d’abord par le souci de la ligne et l’égalité du chant. L’ardeur, au contraire, n’appartient pas à son vocabulaire, ce qui dans un opéra risorgimental comme Attila, apparaît préjudiciable. D’autant que le personnage de Foresto n’est pas le mieux dessiné dramatiquement par Verdi et qu’il a ici face à lui une Odabella avec laquelle il faut en découdre.
Nouvelle venue sur la scène internationale, la soprano géorgienne Makvala Aspanidze se jette dans la bataille avec une audace qui emporte l’admiration. Vierge guerrière certes, et des plus belliqueuses, qui s’autorise dans sa fureur vengeresse quelques libertés rythmiques mais qui sait soigner le style et varier les reprises. Evidemment, une telle personnalité se satisfait davantage des cabalettes dans lesquelles elle peut faire valoir une bravoure suicidaire. La romance « Oh! Nel fuggente nuvolo », si bellinienne dans le développement étiré de la phrase, expose les limites de ce chant, non pas en termes de tenue et de nuances mais plutôt de souplesse. Peu importe, il y a la puissance fulgurante, le timbre radieux et au-delà une lumière qui n’a rien à voir avec la voix mais qui rend à Attila ce que Ruggero Raimondi n’a pas voulu lui concéder : son éclat contestataire.
> Attila, capté le 24 septembre 2013 à Liège, est retransmis sur CultureBox jusqu’au 25 septembre 2014
> Le podcast de l’émission de Camille De Rijck consacrée à Attila le 28 septembre 2013 sur Musiq3 est disponible 30 jours après sa diffusion (plus d’informations)