Afficherait-on encore Attila aujourd’hui si cet opéra, le neuvième de Verdi, n’offrait un rôle de premier plan à une voix de basse ? Non et l’on n’aurait pas forcément tort tant l’ouvrage paraît le brouillon rageusement froissé des chefs d’œuvre à venir. Sur un livret indigent, Verdi plaque une musique furieuse destinée à exalter le patriotisme italien.
Déjà vue à Liège en 2013, la mise en scène de Ruggero Raimondi choisit d’illustrer fidèlement le propos. Littéral, le parti pris se veut également esthétique. Degrés, colonnes et bas-reliefs monumentaux ouvrent des perspectives imitées de Véronèse. Les riches costumes de Laura Lo Surdo évoquent une Renaissance fantasmée. Lumières bleutées et fumigènes déposent sur chaque tableau un voile de mystère. Nous avions alors jugé sévèrement l’approche, lui reprochant de ne pas suffisamment donner à comprendre l’esprit risorgimental de l’œuvre. Nous n’avions peut-être pas raison. A la revoir, cette lecture au premier degré s’avère finalement la meilleure dès lors que l’on dispose d’interprètes capables d’assumer toutes les dimensions de leur rôle. Tel est le cas à Monte-Carlo.
Avec Ildar Abdrazakov, notre époque peut se targuer de posséder un Attila idéal d’allure théâtrale et de stature vocale. Maturité artistique aidant, l’interprétation a évolué : plus travaillée, plus subtile si tant est que l’on puisse parler de subtilité s’agissant d’une partition gonflée de testostérone. Toujours est-il qu’à la justesse du geste et à la noirceur orgueilleuse du chant, déjà admirées à Rome et Paris, s’ajoutent de nouvelles intentions, tel ce « Mentre gonfiarsi l’anima parea » non plus proféré comme autrefois mais exprimé d’une voix pâle et tourmentée. L’air est à raison accueilli par une bordée d’applaudissements qui semblent ne plus vouloir finir.
© Alain Hanel OMC 2016
Vierge guerrière à la croisée des écoles, Odabella demeure un rôle impossible. Nul soprano ne saurait être suffisamment schizophrène pour répondre aux caprices d’une écriture, tantôt belliqueuse, tantôt contemplative. Quel est d’ailleurs l’air le plus périlleux : « Allor che i forti corrono » au prologue, hérissé de coloratures et de spectaculaires sauts d’octave ou au premier acte « Oh! Nel fuggente nuvolo », cantilène si exigeante en termes de ligne et de pureté qu’on la dirait copiée d’un opéra de Bellini ? A Monte-Carlo, Carmen Giannattasio puis Anna Markarova ont fait marche arrière après avoir accepté de relever le défi, découragées sans doute par la difficulté de la tâche. Plus intrépide, Rachele Stanisci se jette dans la mêlée toutes griffes dehors avec une vigueur qui n’exclut pas la stridence. Tout au moins a-t-elle le mérite d’assumer avec précision roulades vertigineuses, larges écarts et notes extrêmes. Sans disposer d’une vaste palette d’effets, le chant sait aussi s’apaiser pour apporter les nuances nécessaires à l’expression amoureuse.
Foresto a moins d’exigence et le ténor basque Andeka Gorrotxagi lui prête une silhouette romantique doublée d’une émission que l’on dirait empruntée à Jonas Kaufmann : centrale, égale et assombrie, avec des aigus projetés en force tels des coups de poing. Est-ce là l’élégance chevaleresque du ténor encore donizettien que l’on attend dans ce répertoire ? Non mais la proposition, très applaudie par le public, a le mérite d’offrir à nos certitudes une alternative valable.
Baryton désormais invité sur les plus grandes scènes internationales, George Petean enfile l’armure d’Ezio avec ce surcroît d’héroïsme sans lequel le personnage apparaîtrait illégitime. Bravoure, ampleur, ardeur non dépourvue de noblesse, notes allongées, aigus ajoutés et rageurs : tous les moyens sont bons pour imposer une présence dramatiquement injustifiée mais musicalement indispensable.
Les seconds rôles – Domenico Menini en Uldino, le Pape de In-Sung Sim – parviennent à rendre clés leurs courtes répliques. D’une cohésion à toute épreuve, les chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo font assaut de volume. Sauvage, la direction de Daniele Callegari choisit d’épouser les revendications politiques de l’ouvrage. « Mes amis prétendent que c’est là mon meilleur opéra », écrivait Giuseppe Verdi à Clara Maffei au lendemain de la création d’Attila. On n’est jamais trahi que par les siens.