Jacques OFFENBACH (1819-1880)
LA VIE PARISIENNE
Opéra bouffe en quatre actes
Livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy
Version de 1873
Production de l’Opéra National de Lyon
Mis en scène et costumes, Laurent Pelly
Adaptation des dialogues et dramaturgie, Agathe Mélinand
Décors, Chantal Thomas
Lumières, Joël Adam
Chorégraphie, Laura Scozzi
Raoul de Gardelle : Alexander Swan
Bobinet : Marc Callahan
Métella : Sophie Fournier
Le Baron de Gondremarck : Laurent Naouri
La Baronne de Gondremarck : Maryline Fallot
Gabrielle : Magali Léger
Frick / Prosper : Christophe Mortagne
Le Brésilien : Florian Laconi
Pauline : Pauline Courtin
Urbain / Joseph : Jean-Louis Meunier
Léonie : Claire Delgado-Boge
Albertine : Zena Baker
Clara : Marie Virot
Louise : Catherine Alcoverro
Augustine : Christine Sinibaldi
Charlotte : Isabelle Antoine
Gontran : Jean-Pierre Lautré
Alphonse : Bruno Vincent
Orchestre National du Capitole
Chœur du Capitole
Direction, Alfonso Caiani
Direction musicale, Benjamin Lévy
Toulouse, le 23 décembre 2009
Au-delà des clichés
Créée à Lyon, cette production de La Vie Parisienne est éblouissante d’intelligence. La symbiose entre le travail d’adaptation d’Agathe Mélinand et la mise en scène de Laurent Pelly respecte intégralement l’esprit du livret d’origine malgré la transposition à notre époque. Quel visage offre Paris aujourd’hui à ceux qui le découvrent ? Le parti pris satirique oriente évidemment la sélection des éléments retenus comme représentatifs, mais la pertinence des choses montrées ou dites ne fait aucun doute. Retards chroniques des trains, confusion des annonces destinées à l’information des voyageurs, manifestations corporatistes, laissés pour compte, discriminations à l’accueil des étrangers, contrôles de police au faciès, brutalités policières, ripoux, la vision n’est pas flattée. Mais qu’on ne se méprenne pas : il n’y a pas de thèse infligée au spectateur, et à aucun moment Laurent Pelly n’oublie que l’objectif premier d’Offenbach et de Meilhac et Halévy est de séduire et d’amuser. C’est pourquoi les choses montrées le sont dans le mouvement, sans s’appesantir, parce que le rythme de la dramaturgie est dicté par celui de la musique.
En cette période de travaux au Capitole, le spectacle trouve tout naturellement sa place au Théâtre National de Toulouse dont Laurent Pelly est le directeur. Dans un enclos étroit et allongé au pied de la scène un effectif réduit composé en majeure partie de supplétifs de l’Orchestre National de Toulouse – dont les titulaires sont mobilisés pour un programme de ballets donné à la Halle aux Grains – obéit avec souplesse à la direction très attentive du jeune Benjamin Lévy. Si le pastiche de la musique française du XVIIIe siècle, un des charmes de la partition, est moins rendu que dans l’enregistrement effectué à l’opéra de Lyon, la dynamique et les équilibres sonores sont justes en dépit de l’acoustique difficile du lieu.
Sur le plateau, l’avantage est aux chanteurs dotés de la meilleure projection. Laurent Naouri est l’un d’eux ; son baron de Gondremarck, presque chauve et couperosé – prodigieux maquillage – unit une superbe vocale qui résiste à toutes les avanies auxquelles le soumet la mise en scène, en particulier à l’acte III, à un talent de comédien qui fait d’un personnage sommaire et ridicule un être humain finalement pathétique, avec une légèreté de touche admirable. Très belles compositions aussi de Christophe Mortagne, en bottier obsédé et en major de table d’hôtes, avec lui aussi une qualité de diction qui fait que l’on ne perd rien du texte. Les deux godelureaux, Gardefeu et Bobinet, trouvent en Alexander Swan et Marc Callahan des interprètes au physique avenant et à la voix bien placée et agréable. Florian Laconi, rappeur couvert de chaînes d’or au I et en maillot de footballeur au IV, est un Brésilien extraverti à souhait.
Revêtues des toilettes imaginées par Laurent Pelly, les interprètes féminines font assaut d’élégance, et le défilé des invitées au bal du III donne lieu à une scène fort drôle inspirée des défilés de mode. Magali Léger, tour à tour Gabrielle et Madame de Sainte-Amarante, est des plus séduisantes, physiquement et vocalement, même si çà et là on croît sentir quelque fatigue. Sa pétulance est telle que la Metella de Sophie Fournier semble manquer un peu de force. Pauline Courtin, en femme de chambre promue amirale, tire le meilleur parti de sa scène. Quant à la baronne de Gondremarck, Maryline Fallot, elle est bcbg à souhait mais la laryngite annoncée la prive sans doute d’une partie de ses moyens. Tous les autres solistes et artistes des chœurs sont irréprochables.
Autre source de plaisir, les évolutions des personnages sur le plateau ; on a l’impression d’assister à un ballet gigantesque dont les véritables danseurs sont les solistes dans la chorégraphie déjantée et parfois sulfureuse inventée par Laura Scozzi. Certes, on n’a pas droit au french cancan traditionnel, mais la transposition est savoureuse, et les intermèdes destinés à permettre les changements de décor entre les actes I et II et III et IV sont autant de saynètes tout à la fois désopilantes et cohérentes aussi bien avec le tableau précédent qu’avec la vision proposée dans l’acte d’exposition.
On ne s’étonnera donc pas du succès qui oblige le plateau à trisser le final. Non seulement l’œuvre a tout pour séduire, musicalement, mais cette réalisation est d’une force et d’une cohérence qui vont bien au-delà du divertissement. En ces temps d’interrogation sur l’identité nationale, ce qui pourrait n’être pour nous qu’une pochade surannée débouche sur l’actualité. Que cette Vie Parisienne devenue emblématique d’une certaine tradition française soit née d’un immigré juif allemand ne donne-t-il pas à penser ? Ainsi, sans la moindre lourdeur didactique, cette relecture décapante redonne jeunesse à l’œuvre et au spectateur comblé, le goût de réfléchir. Cette absence de pesanteur, n’est-elle pas l’élégance à la française ?
Maurice Salles