Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Sémélé
En trois actes
Créé le 10 février 1744 à Londres « à la manière d’un oratorio »
Livret de William Congreve
Mise en scène, Robert Carsen assisté d’Elaine Tyler-Hall
Décors et costumes, Patrick Kinmonth
Lumières, Robert Carsen et Peter van Praat
Chorégraphie, Philippe Giraudeau et Elaine Tyler-Hall
Cecilia Bartoli, Semele
Liliana Nikiteanu, Ino
Birgit Remmert, Juno
Rebeca Olvera, Iris
Charles Workman, Jupiter/ Apollo
Anton Scharinger, Cadmus/ Somnus
Thomas Michael Allen, Athamas
Chœur de l’Opernhaus de Zurich
Orchestre «La Scintilla» de l’Opernhaus
Direction musicale: William Christie
Zurich, le 24 janvier 2009, 20 heures
Au lit avec Bartoli.
Opéra ou oratorio ? La forme de Sémélé, cet OVNI (Objet Vocal Non identifié) au sein du répertoire lyrique, déconcerta ses contemporains et continua ensuite de poser question. En France, il fallut attendre deux cent cinquante ans pour que l’œuvre soit enfin représentée : 1996, festival d’Aix-en-Provence, Robert Carsen et William Christie. C’est le même chef et la même mise en scène que l’on retrouve treize ans après à Zurich autour d’une série de représentations dont la présence de Cecilia Bartoli, enfant chérie de la Suisse alémanique lyrique, a motivé la reprise.
Cecilia Bartoli que l’on n’attendait pas forcément en anglais (à juste titre) et dans un rôle où l’on est habitué à des voix plus légères : Kathleen Battle au disque dans la version de référence(1), Annick Massis à la scène(2). Car Sémélé, par sa jeunesse et par la tessiture de sa sœur Ino (mezzo-soprano, voire contralto) s’impose en soprano comme une évidence que la Bartoli n’arrive pas à remettre en cause, malgré un timbre éclairci, pour ne pas dire aminci, depuis qu’il explore des territoires plus élevés, malgré une virtuosité à toute épreuve qui se régale d’un « Myself I shall adore » varié jusqu’à l’écœurement et qui fait de « No, no ! I’ll take no less » un numéro de virago (c’est le seul moment où la chanteuse dépasse les bornes, le reste de l’interprétation observe une mesure bienséante), malgré un « Ah me ! too late I now repent » inspiré qui donne (enfin) le frisson.
Cecilia Bartoli, prétexte à cette reprise donc, au point qu’autour d’elle, les autres chanteurs semblent souvent faire de la figuration : Anton Scharinger, meilleur en Somnus qu’en Cadmus (contre toute attente le premier étant d’une autre trempe que le deuxième) mais bien ordinaire tout de même ; Liliana Nikiteanu (Ino) en mal de projection et de legato ; Birgit Remmert (Junon) disqualifiée par les écarts de « Hence, Iris hence away » même si le couple qu’elle forme avec l’Iris vif-argent de Rebeca Olvera amuse ; Thomas Michael Allen (Athamas) dont on a supprimé (heureusement) deux airs sur trois. Seul tire vraiment son épingle du jeu Charles Workman, Jupiter noble de ligne comme de ton, bousculé par la vélocité de « I must speed amuse her » et de « Ah, take heed what you press » mais qui retrouve ses marques dans un « Where’er you walk » souverain.
Avec William Christie, Sémélé ne s’aventure pas dans les touffeurs d’un Nelson, pas plus qu’elle ne cède à l’ivresse d’un Minkowski. Elle emprunte plutôt des sentiers rectilignes, sans prendre parti, à mi-chemin entre apparat et drame, oratorio et opéra, même si les sonorités de La Scintilla n’ont pas le même relief que celles des Arts Florissants. Elle s’accomplit dans un « Oh terror and dastonishment » d’une grande force où le Chœur de l’Opernhaus de Zurich montre son meilleur visage. Le « Avert these omens » au premier acte avec ses pupitres dispersés l’exposait sous un jour moins favorable.
De la mise en scène de Robert Carsen, on sait déjà a peu près tout : les parallèles qu’elle établit entre le monde des dieux (la cour d’Angleterre) et celui des hommes (l’aristocratie à un niveau social en dessous) pour nous rendre plus explicites les rapports entre Jupiter et Sémélé ; le naturel du mouvement (le chœur ni agité, ni figé, les ébats entre Jupiter et Sémélé suggestifs sans être vulgaires) ; le tapis rouge et le grand lit qui font office de décor ; le couple drolatique formé par Iris et Junon ; l’humour qui surgit aussi à travers l’emploi d’objets usuels (les journaux, les valises,…). Treize ans après, elle n’a pas pris une ride.
Christophe Rizoud.
(1) 1990, English Chamber Orchestra, John Nelson,DG
(2) 2004 à Paris au Théâtre des Champs-Elysées dans une mise en scène de David Mc Vicar