L’Opéra de Montréal fait un peu plus dans la rareté en ce qui concerne Massenet : Thaïs voilà quelques années, Cendrillon maintenant et Werther dans la version pour baryton l’an prochain. Peu importe le Massenet qu’on lui présente, le public d’ici se réjouit de retrouver le charme, la richesse et la sensualité de ses œuvres. Pour cette première de Cendrillon c’est d’ailleurs en nombre qu’il a investi la Salle Wilfrid Pelletier.
Ce que Massenet a fait du conte de Perrault est un pur enchantement. Ce qu’en font, en l’actualisant, André Barbe aux décors et aux costumes et Renaud Doucet à la mise en scène et à la chorégraphie, révèle une compréhension métaphorique de l’œuvre : le ressort de l’action c’est tout simplement le rêve américain d’une jeune fille des années 1950. Écrasée par un environnement qui l’accable, comme le signale le gigantisme des appareils ménagers dans la cuisine familiale, par les tâches qui l’épuisent et l’ennui qui la guette, ne peut-elle pas s’en sortir par le rêve d’abord et par la réalisation de ce rêve ensuite ? Tout sera possible pour elle ; c’est d’ailleurs ce que suggère la vision sur écran du mariage de Grace Kelly avec le prince Rainier de Monaco. Toutefois c’est au Palace qu’elle rencontrera le sien au deuxième acte. Un véritable numéro de music hall nous y attend ; les prétendantes se livrent aux contorsions et aux prestidigitations les plus hilarantes qu’il m’ait été donné de voir à l’opéra, mais séduire le prince n’est pas une mince affaire et on peut le comprendre à la vue d’un tel spectacle. Si au quatrième acte leur ultime tentative de séduction est également vouée à l’échec, ce sera à la toute fin le moment d’une célébration ou les protagonistes montrent leur joie d’avoir participé à la réalisation scénique de ce conte par un salut de style music hall sur le dernier accord de l’opéra.
Dans cette mise en scène où tout est démesure, les décors et les costumes complètement loufoques d’André Barbe donnent à l’action une rafraîchissante invraisemblance dont profite l’œuvre de Massenet. Dans les moments les plus débridés ils accentuent davantage son caractère enjoué tout en caricaturant les situations les plus sérieuses. À vrai dire, chez les principaux personnages, seuls le Prince et Cendrillon portent des vêtements qui conviennent à leur condition tandis que les autres protagonistes affichent des goûts plus excentriques. Aux éclairages, Guy Simard porte une attention particulière aux impressions que chacun ressent, créant par de très beaux jeux de lumière des images saisissantes.
Cette scénographie pleine de trouvailles accompagne un plateau ravissant de chanteurs duquel se détache Gaétan Laperrière qui brûle les planches en Pandolfe. La chaleur et la rondeur de son baryton impressionnent encore après toutes ces années de métier sur plusieurs scènes canadiennes et américaines. Il entraîne dans son sillage les autres membres de la distribution. Julie Boulianne incarne magnifiquement le rôle-titre ; elle atteint le sommet de son art dans l’air « Reste au foyer petit grillon » qu’elle décline avec le plus touchant abandon et dans le duo du troisième acte avec le Prince par cette phrase inlassablement répétée: « Vous êtes mon Prince Charmant ». Étonnante diseuse comme on en rencontre peu à l’opéra, sa voix riche et souple possède une attachante personnalité. En Prince Charmant on peut préférer la grâce poétique d’une mezzo-soprano, mais c’est assûrément une joie d’y entendre Frédéric Antoun dans un emploi qui lui sied parfaitement, d’autant plus que la voix se déploie magnifiquement sur tous les registres. Sa caractérisation très réussie d’un prince désabusé montre jusqu’à quel point il a saisi la nature sombre du personnage. Dans cette mise en scène, Madame de la Haltière et ses filles offrent une prestation drôle à souhait sans toutefois donner l’impression d’être bien méchantes ; elles forment un trio parfaitement assorti et savent au besoin projeter des éclats de voix adaptés au comique des situations. Marianne Lambert tire profit de son interprétation juste et très virtuose de la Fée. Emportés par la belle tenue des principaux personnages, les autres artistes jouent et chantent avec conviction.
Jean-Yves Ossonce dirige le tout de main de maître. Il porte un soin attentif aux timbres des différents pupitres en privilégiant peut-être les bois dont il tire des sonorités très évocatrices. Il communique à l’orchestre l’éloquence nécessaire à l’expression de la tendresse et de l’ironie si présentes dans la partition. Le soutien qu’il apporte aux chanteurs sans jamais les couvrir est absolument remarquable. Bel abattage des chœurs également qui remplissent leur fonction avec précision et enthousiasme.