C’est dans le contexte du Festival Le Paris retrouvé de Marcel Proust, ouvert le 11 mars mais presque aussitôt clos et reporté à cause du covid-19, que s’est tenu vendredi 13 mars un concert autour des mélodies de Reynaldo Hahn et de Guillaume Lekeu. Le principe du Festival étant d’organiser des événements culturels liés à Proust dans des lieux parisiens emblématiques de la fin-de-siècle, il n’était pas surprenant de voir programmé Reynaldo Hahn au Musée national Jean-Jacques Henner. Reynaldo Hahn, puisque les deux artistes se connaissaient – Proust confie d’ailleurs dans une lettre à ce dernier toute l’affection qu’il lui voue, seule dépassée par celle qu’il doit à sa mère. Le musée Henner, parce que c’est en ces lieux que Reynaldo Hahn joua quelques-unes de ses mélodies pour la première fois, introduit par son maître Jules Massenet.
Notons tout d’abord la beauté et la cohérence du programme de ce récital. Les mélodies de Reynaldo Hahn sélectionnées font côtoyer les plus célèbres, dont les Chansons grises d’après Verlaine, et d’autres moins jouées, tels ces Portraits de peintres, d’après des poèmes de Proust lui-même, dont la particularité est qu’ils ne sont pas chantés mais déclamés. Le tout est complété par trois airs de Guillaume Lekeu, ce compositeur belge mort à 24 ans et surtout connu pour ses sonates. Cet ensemble très riche dessine une cohérence musicale qui frappe le spectateur par son imaginaire typiquement fin-de-siècle, évidemment sublimée par le lieu, ce jardin d’hiver si charmant du Musée Henner, totalement raccord avec l’ambiance Belle Epoque que nous aimons tant. Ce cadre très intimiste instaure d’ailleurs d’emblée une proximité entre artistes et audience, et la soprano Marion Tassou saura en faire bon usage, multipliant avec le public les contacts visuels qui renforcent la belle intensité de ses interprétations.
Marion Tassou propose une performance vocale et scénique charmante et très réussie. Sa présence scénique est impressionnante. De par sa volonté de traquer toutes les potentialités émotionnelles de chaque vers, la jeune soprano nous fait frissonner plus d’une fois (Sur une tombe, L’heure exquise, L’énamourée). La technique vocale est impeccable : le souffle, la diction, le volume, tout y est. Dotée d’une puissance vocale évidente, elle n’hésite pour autant pas à nous gratifier de pianissimi de belle facture et très élégants (Quand la nuit n’est pas étoilée).
Deux airs témoignent particulièrement d’une maîtrise totale : L’énamourée et L’heure exquise – la délicatesse du chant et des émotions dégagées ne peuvent que convaincre. Ce sont les deux moments marquants du récital. Notre seule réserve, s’il fallait en trouver une, tient au tempo légèrement trop rapide de la splendide mélodie A Chloris – mais peut-on en tenir rigueur aux artistes, puisqu’il s’agit là plutôt d’une question de goût ? Qu’importe, il est très manifeste, à l’issue de ce concert, que Marion Tassou est passionnée par ces mélodies et son plaisir devient le nôtre le temps de ce récital.
Au piano, Emmanuel Christien déploie une très belle sensibilité et une subtilité qui découlent d’une attention constante portée aux interprètes et à leurs intentions. La variété des mélodies retenues permet au pianiste de faire montre d’une belle palette d’émotions : contemplatif dans Antoine Watteau, sautillant dans la Ronde, ou lyrique dans Nocturne. Les poèmes de Lekeu sont d’ailleurs une très belle découverte, qui n’ont aucunement à rougir devant les mélodies de Hahn. Les Portraits de peintres nous enchantent de beaux moments de piano seul qui offrent au talent d’Emmanuel Christien le devant de la scène.
Surprenante, et rare, de par son caractère déclamatoire, la performance d’Alyzée Soudet enfin apporte une touche intrigante et très originale à ce récital. C’était un plaisir inattendu de découvrir ces Portraits de peintres, peu connus alors qu’a priori la rencontre artistique Hahn-Proust a de quoi séduire. Le grain de voix d’Alyzée Soudet, de tessiture grave, pare ces poèmes d’un beau mystère, redoublé par l’intensité de son jeu théâtral – lequel perdure y compris lorsqu’elle ne parle pas, ce qui est très appréciable. Son interprétation instille une réelle poésie qui achève de faire de ce récital une heure d’exquise élégance, très chaleureusement accueillie par le public.