Le Chœur reste pour beaucoup une entité mystérieuse. Préparé par Patrick Marie Aubert et son adjoint, Alessandro di Stefano, il ne paraît sur scène que mené par un autre chef – celui de l’orchestre. Alors que les rôles principaux saluent en dernier, le Chœur salue en premier, eût-il été un protagoniste de la soirée. Parfois même, certains critiques musicaux omettent de signaler dans leur compte rendu la performance du Chœur, relégué loin derrière le metteur en scène ou le scénographe, sans parler du ténor ou de la soprane.
Rendre la vedette l’espace d’un soir à cette phalange fut le pari personnel de Patrick Marie Aubert, qui l’a mené à bien avec détermination. Le bicentenaire Wagner/Verdi en était l’occasion rêvée tant le répertoire se prête à une soirée chorale entière. Notons au passage que Patrick Marie Aubert a tenu à donner chaque année un concert avec son Chœur, plutôt axé vers l’oratorio : mais ce 20 mars, ce furent des chœurs d’opéra sur la scène de l’Opéra, ce qui donna une toute autre dimension à l’affaire.
C’est dans une salle pleine à craquer que le Chœur a fait valoir ses atouts nombreux. Cette formation qu’on avait connue parfois un peu hésitante ou trop avare de nuances dans les années récentes a attesté une maîtrise admirable. Le répertoire retenu convoquait toutes les nuances possibles de l’art choral, depuis les équilibres subtils de la procession nuptiale dans Lohengrin jusqu’aux élans du Hollandais (avec l’excellent Hyun-Jong Roh dans les interventions du Steuermann). A son aise dans la puissance comme dans la mi-voix, réservant de remarquables phrasés, le Chœur a amplement convaincu dans Wagner. Mais c’est dans Verdi qu’il a conquis. La « Patria oppressa » a mis en valeur une intelligence musicale collective remarquable. Mais il faudrait souligner les couleurs chaudes d’Aida, l’éclat de Nabucco, l’énergie du Trouvère.
A ceux qui craignaient un tunnel d’airs célèbres, le Chœur de l’Opéra de Paris a répondu en multipliant les moments d’une intensité prenante, en démontrant un engagement de chaque instant galvanisant la salle. Il est bon que le public parisien se rappelle en ce genre d’occasion de quelles forces dispose son Opéra. Un peu plus de vingt ans après le dramatique accident de Séville, il ne nous est pas indifférent de trouver un Chœur au mieux de sa forme, manifestant tant d’enthousiasme à chanter.
L’Orchestre des Lauréats du Conservatoire, formation de jeunes gens issus des CNSM de Paris et Lyon, s’est vite mis au diapason de cette intensité, offrant une performance ahurissante de maturité et de contrôle. On ne détaillera pas ici la réussite de chaque pupitre, offrant chacun son meilleur. Mention pour les trompettes d’Aida : ces six jeunes gens en ont remontré à bien des orchestres aguerri en offrant une performance impeccable, débarrassée des trop habituels couacs.
Patrick Marie Aubert dirigeait ce Chœur, son Chœur, et cet orchestre – exercice inhabituel pour un chef de Chœur, fût-il lauréat de la classe de direction d’orchestre. Le geste un peu raide au début s’est bien vite fluidifié et a pris assurance et hauteur, communiquant à toutes les forces réunies une tension, une fougue, absolument irrésistibles, et obtenant des nuances très fines (un bis tout en sfumato). Il est à espérer que Stéphane Lissner saura s’appuyer sur Patrick Marie Aubert pour continuer sous son mandat à porter haut les couleurs du Chœur : le public, en tout cas, a voté !