Une Johannes-Passion dirigée par William Christie, ça ne se rate pas. Avec ce bijou de perfection et la ferveur absolue qui s’en dégage, nous sommes aux sommets de l’art de Bach : voilà une soirée mémorable et sublime qui s’annonce au Festspielhaus de Baden-Baden, se dit-on. Est-ce d’en attendre trop, est-ce l’immensité de la salle insuffisamment remplie et en comparaison l’effectif peut-être un peu trop raisonnable des Arts Florissants qui peine à imposer les déferlantes sonores escomptées, toujours est-il que l’impression générale reste mitigée, avec une pointe d’agacement pour ne pas avoir vibré en continu au cours de l’exécution de ce chef-d’œuvre pourtant servi avec savoir-faire et toute l’expérience de l’un des chefs les plus importants qui soient. En fait, il n’y a rien à redire ou presque à ce que nous avons pu entendre, d’une incontestable beauté et générosité, sauf peut-être une perfection un rien trop lisse. Dès le départ, c’est la surprise d’un continuo très imposant et des cordes envahissantes qui empêchent de s’extasier à loisir des sublimes variations sur le « Herr », cependant vite régulée en termes d’équilibre entre les instruments et les voix. La frustration initiale s’efface rapidement car tout se met heureusement en place pour une belle harmonie d’ensemble. Au clavier, le maestro officie lui-même à intervalles réguliers et peut compter sur l’entente parfaite de tous les effectifs. On retiendra au final une grande concentration et un bonheur manifeste d’officier ensemble.
Les Arts Florissants Chœur et orchestre © D. Rouvre
Si la Passion selon saint Jean de Bach requiert avant tout un grand évangéliste, nous sommes ici gâtés : Reinoud Van Mechelen s’impose magistralement, avec toutes les qualités requises. Diction impeccable, puissance dramatique évidente, sens des effets remarquable, longueur de voix qui permet des vocalises particulièrement expressives et virtuoses, le ténor nous procure ravissement et toute une palette d’émotions intensément vécues. Son interprétation lui vaut une ovation bien méritée.
Alex Rosen est un Jésus grave, mystérieux et dont l’essence divine l’emporte sur les faiblesses humaines, nous semble-t-il. Jess Dandy peine tout d’abord à sa faire entendre. Heureusement, la voix prend de l’assurance et se départit de la stricte confidentialité au fil du drame pour laisser émerger toute la beauté de l’alto. Ô combien angélique, Rachel Redmond est radieuse et lumineuse, sublimant une technique époustouflante. Anthony Gregory et Renato Dolcini complètent cette distribution de grande classe. Les chœurs, auxquels les solistes sont mêlés, sont à l’unisson. La musique de Bach fait le reste et le « Ruht wohl » réconcilie tout le monde. Après tout, ce n’était pas un rendez-vous manqué, simplement une rencontre où l’on arrive presque en retard, tout en peinant à se mettre au diapason, ce qui finit tout de même par arriver. Cela dit, cette Passion était présentée bien tôt, en plein carême. La tradition veut que le Festspielhaus donne plutôt ses Passions le Vendredi Saint : comme il serait gratifiant de pouvoir réentendre la même Johannes-Passion le 19 avril prochain, pour ne plus avoir les oreilles ou l’empathie en berne, avec les mêmes interprètes…