C’est en apothéose que Damien Guillon achève ses quinze ans à la tête du Banquet Céleste avec cette Passion selon saint Matthieu qui n’avait pas résonné dans la capitale bretonne depuis trente-et-un ans.
L’effectif pléthorique exigé par la partition permet à l’opéra de Rennes de rassembler ses deux ensembles en résidence – Le Banquet Céleste et le choeur Mélisme(s) – ainsi que la maîtrise de Bretagne, partenaire récurrent.
S’est naturellement posée la question de proposer ce répertoire en église. Conforté par un chef serein quant à l’acoustique et échaudé par une Passion selon St Jean qui, par le passé, avait du être rapatriée en urgence dans la salle à l’italienne pour cause de chauffage défaillant, il a été décidé d’accueillir ce programme sur la scène de l’opéra, consacrant ainsi, selon les dires du directeur, Matthieu Rietzler « un moment fort de la vie de la Maison ».
Le chef d’orchestre offre une lisibilité parfaite de l’architecture de l’œuvre, se jouant de sa complexité intrinsèque due à la présence, à la fois, d’un double chœur et d’un double orchestre.
Tout en souplesse et en sobriété, jamais dépassé, il accompagne chacun sans ostentation et propose une interprétation équilibrée, retenue où aucun protagoniste – soliste, chœur ou orchestre – n’est jamais laissé en retrait.
Même les silences entre les numéros sont parfaitement rythmés pour permettre à l’auditeur une respiration naturelle avant de replonger dans l’œuvre. Par contraste, l’interminable silence suivant la mort du Sauveur en prend plus d’intensité encore.
De tout ces éléments se dégage une plénitude qui transcende le drame musical et éclaire toute l’œuvre d’une profonde spiritualité.
Naturellement, le Banquet Céleste répond aux moindres sollicitations, dans un phrasé singulièrement souple, nuançant le propos de couleurs et d’intentions faisant assaut de finesse et d’intelligence. « So ist mein Jesus nun gefangen » bouleverse par le travail du volume dans l’espace. La variété des instrumentations met en valeur les qualités solistiques des interprètes au premier rang desquels les vents et le continuo, qui lui aussi, n’appelle que des éloges.
Dès l’introduction s’impose la pâte sonore dense, riche du choeur Mélisme(s) qui, d’abord volontairement assourdie évolue vers la plénitude dans une progression parfaitement maîtrisée. Si on peut regretter quelques finales décalées au cours de la soirée, les jeux de couleurs, d’intentions, entre véhémence et intériorité, animent toute la partition dans une écoute très attentive du chef. C’est le cas dans les si beaux « Ich bin’s, ich sollte büßen » ou encore : « Erkenne mich, mein Hüter » Avec « So ist mein Jesus nun gefangen » se fait jour une dimension presque instrumentale, proprement bouleversante tandis que la première partie de l’oeuvre s’achève en apothéose avec le choral « O Mensch, bewein dein Sünde groß ». Dans la seconde partie les interventions illustrant le reniement de Saint Pierre sont vibrantes d’autorité et de conviction ; « Bin ich gleich von dir gewichen » formidablement touchant.
Le second chœur est celui de la Maîtrise de Bretagne, où Damien Guillon lui-même a fait ses classes. Les quinze enfants n’ont que deux interventions mais elles sont notablement justes et précises. Les timbres juvéniles s’accordent parfaitement dans leur rondeur avec ceux du grand choeur lors des respons. Le choix de les placer au plus près des autres interprètes accentue cette homogénéité même si elle gomme la dimension spatiale voulue initialement par le compositeur.
Les solistes sont tout aussi investis que les musiciens et les choristes. La narration est portée avant tout par le formidable Évangéliste de Juan Sancho, flamboyant conteur au discours limpide, qui cisèle chaque phrase d’un timbre clair et soyeux assorti d’un art proverbial de la diction. Il emporte le spectateur dès son premier récitatif et ne faillit jamais avec des moments particulièrement intenses comme « Und er kam und fand sie aber schlafend » ou encore « Petrus aber saß draußen im Palast ».
Edward Grint incarne le Sauveur d’un phrasé raffiné et mesuré bien qu’une légère instabilité dans le haut medium n’oblige à nuancer les compliments sur la sensualité de son grain de voix. Les cordes nimbent ses interventions d’une douce suavité. « Komm, süßes Kreuz » est proprement bouleversant par l’élégance et la sobriété de l’expression.
Avec « Buß und Reu knirscht das Sündenherz entzwei » flûte et violoncelle magnifient l’approche éminemment sensible de Paul-Antoine Bénos-Djian, qui sculpte ses phrases d’un ciseau précis et délicat. Cette grande élégance se confirme plus loin avec le bouleversant « Erbarme dich ».
Chez les femmes, Céline Scheen, qui a bcp enregistré avec Banquet Céleste, prête son timbre
chaud, moelleux, bien projeté à l’air« Ich will dir mein Herze schenken » précédé du si touchant récitatif Wie wohl mein Herz in Tränen schwimmt » où hautbois et continuo font merveille.
Maïlys de Villoutreys prête la pureté de son timbre au « Blute nur, du liebes Herz ! » et ravie tout comme Blandine de Sansal bouleversante de tendresse dans « Aus Liebe will mein Heiland sterben ».
Nicholas Scott profite pour sa part d’une remarquable conduite de la ligne mélodique et donne une couleur paradoxalement solaire à son « O Schmerz ! » puis à « Ich will bei meinem Jesu wachen », toujours accompagnés au plus juste par la flûte puis le hautbois.
Marco Saccardi fait montre d’une notable expressivité, donnant un relief singulier aux personnages de Pierre et Pilate, tandis que Bradley Smith émeut déjà par la délicatesse de de l’émission de ses consonnes dans « Mein Jesus schweigt ».
Un concert à découvrir le 26 mars à la Cité des Congrès de Nantes, le 27 au TAP de Poitiers et enfin le 29 à la Bachkirche d’Arnstadt – l’église même où Bach était maître de chapelle – dans le cadre du Bachwochen Festival.