Georges BIZET (1838-1875)
Carmen
Opéra-comique en quatre actes
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
D’après la nouvelle de Prosper Mérimée
Production du Théâtre du Capitole
Mise en scène, Nicolas Joel
Décors, Ezio Frigerio
Costumes, Franca Squarciapino
Lumières, Vinicio Cheli
Chorégraphie, Patrick Ségot
Carmen : Anna Caterina Antonacci
Don José : Zoran Todorovich
Escamillo : Angel Odena
Micaela : Inva Mula
Zuniga : François Lis
Moralès : Francis Bouyer
Le Dancaïre : Armando Noguera
Le Remendado : Emiliano Gonzalez Toro
Frasquita : Sophie Graf
Mercédès : Blandine Staskiewicz
Orchestre National du Capitole
Ballet du Capitole
Chœur et Maîtrise du Capitole
Direction, Patrick Marie Aubert
Direction musicale, Daniele Callegari
Toulouse, 7 avril 2009
Bain de jouvence pour Bizet
Pourquoi cette troisième Carmen en douze ans ? Souci de bonne gestion, certainement ; la reprise d’une production au succès éprouvé et largement amortie permet d’équilibrer les risques liés aux nouveaux spectacles comme Hippolyte et Aricie. Mais Nicolas Joel a souvent déclaré qu’il programme les œuvres en fonction des distributions qu’il pense pouvoir réunir ; et en effet c’est une affiche quasiment nouvelle qui est annoncée.
Dans le rôle-titre, celle qui a fait sensation à Londres, la belle Anna Caterina Antonacci. Sa Carmen n’est pas au goût de certains habitués du Capitole, enfermés dans leurs présupposés et leurs habitudes, qui trouvent la voix trop claire, l’interprétation trop élégante. Faut-il se plaindre que la mariée soit trop belle ? La prestation, cela ne surprend pas, est une splendeur de musicalité, d’intelligence et de probité. Sans jamais forcer sa voix, dans un français parfaitement intelligible, sans jamais user des moyens grossiers auxquels on recourt parfois pour assombrir ou grossir l’émission, l’artiste interprète le personnage avec une finesse qui le restitue aux intentions de Bizet et le purifie des limons véristes. La subtilité du chant, qui se souvient des procédés du bel canto, a frustré certains « experts » ; tant pis pour eux. D’autant que l’actrice est au niveau de la chanteuse et que la séduction de la femme se passe de commentaires.
Déjà Don José en 2007 dans la deuxième distribution Zoran Todorovich revient au premier rang. Il confirme sa santé vocale et un souci appréciable d’approfondissement musical, quand on se réfère à son incarnation de Montpellier en 2005 où il nous avait semblé surtout vociférer. L’interprétation est beaucoup plus nuancée, aussi bien vocalement que scéniquement, et le résultat est très convaincant. Certes, des améliorations sont possibles, dans la prononciation encore appliquée, dans la facilité des aigus en falsetto, mais à défaut de l’idéal on peut certes s’en satisfaire.
Remarque valable pour la Micaela d’Inva Mula, dont le français n’est pas toujours des plus clairs. Mais la voix reste brillante et souple, et le métier de l’interprète lui permet de composer un personnage au relief plus affirmé que souvent, par un premier acte où sa Micaela, exempte de la pruderie habituelle, échappe au stéréotype de la mijaurée, alors qu’au troisième elle est émouvante sans excès de pathos. Disparu de la distribution annoncée, officiellement pour raisons de santé, le baryton Paulo Szot est remplacé par Angel Odena, l’Escamillo de l’édition 2007. Pour lui aussi l’accent est perfectible mais la projection est bonne, la voix ferme et homogène et court sans difficulté aux extrémités de la tessiture du rôle.
Tous remarquables d’aplomb vocal et scénique les seconds rôles, qu’il s’agisse de Francis Bouyer en Morales ou de François Lis en Zuniga, ou du Dancaïre d’Armando Noguera et du Remendado d’Emiliano Gonzalez Toro, à la diction excellente pour des non francophones d’origine. Somptueuse Mercedes de Blandine Staskiewicz, qui rêve peut-être déjà du rôle-titre ; un bémol cependant pour Sophie Graf, déjà Frasquita en 2007, dont les aigus forte sont toujours aussi acides.
Dans la fosse, celui qui avait dirigé si brillamment I quattro rusteghi la saison dernière, Daniele Callegari. Le départ de l’ouverture ne laisse pas de surprendre, tant il semble rapide. Mais voilà que de la succession de rythmes ciselés, de plans sonores différenciés, sort une musique d’une richesse renouvelée, d’une puissance suggestive intacte et revivifiée, voire libérée, délestée de pesanteurs routinières. On mesure l’exploit, avec une partition aussi rebattue que Carmen et des musiciens ayant leurs habitudes ! Bravo maestro !
La scénographie monumentale ne nous séduit pas plus aujourd ‘hui qu’hier, mais nous admirons la beauté des lumières, qui composent de véritables tableaux, et la mise en scène nous semble bien reprise et animée, avec la participation pleine et entière des chœurs en grande forme. Mais avions-nous oublié la mort de Carmen, peut-être mal réalisée par défaut de synchronisme ? Sa durée nous a semblé d’un goût douteux et en tout cas incompatible avec la sobriété du discours musical.
Au rideau final, les applaudissements submergent quelques huées isolées à l’adresse de la protagoniste et du chef : manifestement certains à Toulouse ont des habitudes qui les rendent sourds.
Maurice Salles