Renouveler l’exercice du récital : un pari que le ténor Jesse Mimeran, reconverti en organisateur de concerts, tente de relever à son tour Salle Gaveau sous l’étiquette « Be Classical ». Ambition déclarée : « proposer le Classique comme vous ne l’avez jamais vu ». Comment ? Au moyen d’un dispositif électrique installé en surplomb de la scène par le Studio épatant et le Collectif Scale. Des tubes de néons disposés en gradins servent de contrepoint lumineux et coloré aux partitions interprétées dans le même temps par certains de nos plus grands artistes. Pourquoi pas ? Et finalement pourquoi ? Le son prime sur les lumières lorsque l’invité de ce premier rendez-vous s’appelle Ludovic Tézier.
Avec pour thème « French touch », notre baryton number one offre un aperçu de rôles qu’il n’a pas – ou peu – chantés. Là n’est pas le moindre des intérêts de la soirée. Entrevoir Guillaume Tell, Hamlet ou le Méphisto de Berlioz pour mieux les imaginer dans leur intégralité. Les deux premiers plus que le troisième, car la soirée avançant, la voix a gagné en éloquence et le chant en liberté. Rien ne sied davantage à ce baryton large et infrangible que ces lignes infinies qu’il trace d’un souffle comme s’il ne s’agissait que d’une seule note. « Sois immobile » par exemple où l’on ne sait qui de la voix ou du violoncelle semble le plus chaleureux. Et toujours l’excellence de diction française, ce soin porté à l’articulation qui donne à entendre autant qu’à comprendre le sens du mot. Mozart s’en trouve relégué à l’arrière-plan. Il faut préciser que Don Giovanni et le Comte interviennent en première partie de soirée alors que le chanteur, comme déjà dit, n’a pas encore fait montre de tous ses quartiers de noblesse – le timbre cependant suffit déjà à témoigner de l’ascendance seigneuriale.
La mélodie est un genre dans lequel Ludovic Tézier excelle aussi. « La Chanson de l’Adieu » de Tosti le rappelle non sans nostalgie, et auparavant « L’Invitation au Voyage » où, en accord avec les vers de Baudelaire mis en musique par Duparc, tout n’est que luxe vocal et volupté sonore.
Le meilleur pour la fin : Posa dans Don Carlos, rôle pour le coup arboré un peu partout sur les plus grandes scènes, dans lequel Ludovic Tézier est aujourd’hui sans rival. L’orgueil du phrasé, l’éclat de l’aigu fondus ensemble dans le bronze noir qu’utilisaient les plus grands sculpteurs pour ciseler les bustes d’empereurs. Un monument.
Ce n’est pas déprécier l’Orchestre Appassionato, dirigé par Mathieu Herzog, que de trouver l’Intermezzo de Manon Lescaut plus saisissant lorsqu’il est interprété par une grande formation symphonique. Mais dans son rôle d’accompagnant, l’ensemble orchestral, même en format réduit, a le mérite de proposer un éventail de couleurs plus large qu’un simple piano.
Aux côtés de Ludovic Tézier, des invités de marque : Jesse Mimeran qui en plus de jouer les maîtres de cérémonie, assume les quelques répliques de Don Carlos ; Marina Viotti d’une sensualité troublante dans la barcarolle des Contes d’Hoffmann ; et surtout Cassandre Berthon dont « Les Chemins de l’Amour » sont de ceux que l’on aime emprunter en si charmante compagnie.
Deux chansons en bis – « Les feuilles mortes » et « Sous le ciel de Paris » – tournent le dos à l’opéra sans rien ajouter à l’impression plaisante que l’on garde de la soirée. Prochain « Be Classical », le 10 décembre Salle Gaveau avec Roberto Alagna. And friends ?