Semaine riche en événements pour l’Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine et son nouveau directeur musical, Joseph Swensen. A la sortie d’un CD intitulé « Ring Odyssey », et consacré à des arrangements orchestraux de la tétralogie wagnérienne réalisés par le chef lui-même, également compositeur, s’ajoutait l’ouverture de la saison 2024-2025. Un concert qui revêtait une dimension d’événement, à plus d’un titre : une œuvre emblématique, la 9e Symphonie de Beethoven, une diffusion en direct sur France Musique, des retransmissions en direct dans plusieurs lieux de la ville et de la région, et même au-delà de nos frontières, à Munich et à Los Angeles, cités jumelées avec la capitale girondine, et in fine, la sortie d’un disque prévue dans quelques mois.
Lors de la présentation de la saison, au printemps dernier, Joseph Swensen soulignait son bonheur de prendre la tête d’un orchestre pour lequel il avait eu un « coup de foudre », lorsqu’il l’avait dirigé comme chef invité. Du côté des musiciens, on sentait, depuis la salle, un sentiment similaire devant la perspective de retrouver un directeur musical, trois ans après le départ de Paul Daniel.
C’est dire si L’Hymne à la joie de Beethoven constituait la programmation idoine pour une telle soirée. Après quelques minutes consacrées à la compositrice américaine Joan Tower, et à son énergique Fanfare for the uncommon woman, réponse extravertie et conquérante à la Fanfare for the common man de Copland, la 9e Symphonie scande et gronde, dès le premier tutti en ré mineur de l’Allegro ma non troppo initial. Entrée en matière spectaculaire, aux accents grandioses si pleinement assumés qu’on se demande si Joseph Swensen parviendra à maintenir ce plein régime pour les 70 minutes restantes. Ce chef qui danse et se ploie, suscitant auprès de ses musiciens un engagement toujours plus physique, ne se soucie certes pas d’économiser ses moyens, ni de doser la tension. Il arrive que le réglage des équilibres instrumentaux en pâtisse, notamment dans un Molto vivace qu’on aurait aimé mieux ciselé, plus anguleux et plus tranchant. Mais l’Adagio, admirablement phrasé, lâche les brides d’un romantisme à fleur de peau qui fait passer un frisson dans la salle, permet d’admirer la qualité du cor, du basson et des clarinettes et ouvre idéalement la voie au dernier mouvement.
Comme un précipité de l’interprétation de l’ensemble de la symphonie, celui-ci démarre sur les chapeaux de roue, pour ne stopper sa course trépidante qu’une fois le dernier accord évanoui. A la solidité de l’orchestre répondent les forces conjuguées des chœurs de l’Opéra National de Bordeaux et de l’Angers-Nantes Opéra, dont on ne se douterait pas, à les entendre, qu’ils composent deux formations distinctes. A la cohésion des timbres s’ajoute une prononciation particulièrement soignée du poème de Schiller, qui résonne puissamment dans l’Auditorium de Bordeaux. Plutôt clair de timbre, mais parfaitement projeté, Florian Boesch s’impose d’emblée comme un héraut convainquant du message de concorde porté par l’œuvre, tandis que Mauro Peter peut s’appuyer efficacement sur son haut registre claironnant. Du côté des femmes, le soprano capiteux d’Angélique Boudeville et les reflets pourpres du timbre d’Anna Bonitatibus se confondent avec bonheur. De longues acclamations saluent chef, solistes, chœurs et orchestre, après une coda euphorique grâce à laquelle l’Hymne à la joie aura rarement si bien porté son nom !