Association bienvenue à La Côte Saint-André que l’encadrement des Nuits d’été par deux des œuvres les plus populaires de Beethoven. L’ouverture de la musique de scène que ce dernier écrivit pour l’Egmont de Goethe traduit à la fois son enthousiasme pour la pièce, comme son adhésion aux valeurs qui en sont le ressort. L’histoire est connue, de la révolte des Hollandais contre l’oppresseur espagnol, ainsi que le sacrifice d’Egmont, sur l’échafaud, qui les conduira à la victoire. Même en ignorant le fil conducteur, le drame que traduit la musique ne peut laisser personne insensible.
Claire Gibault dirige par cœur. Sa gestique sobre, efficace, puissante comme retenue, fondée sur la métrique, les périodes, plus que sur la pulsation, communique à chacun l’énergie, la dynamique, et sculpte les phrasés. Pour sa première venue au Festival, le Paris Mozart Orchestra, qu’elle a forgé à son image, généreuse, chaleureuse, donne le meilleur de lui-même. L’articulation, les équilibres comme les couleurs et une dynamique rare n’appellent que des éloges. L’orchestre claque, tranchant mais chante avec un égal bonheur. Le discours, toujours clair et vivant, est conduit avec engagement. On en apprécie aussi les respirations, les suspensions, essentielles,
Rayonnante dans une magnifique robe bouton d’or, Véronique Gens apparaît, pour les Nuits d’été, qui lui sont ô combien familières. La Villanelle surprend, la voix paraît neutre. L’orchestration renouvelée des trois couplets toujours séduit, avec un beau pupitre de basses, qui articule, sans jamais forcer le trait. Cette première impression sera heureusement corrigée dès le Spectre de la rose, grand air lyrique, pris très retenu, où le chant s’épanouit, sensuel, chaud, avec un tissu orchestral diaphane, délicat et magnifié : cordes en sourdines, qui tissent leur cocon, pour un enlacement final, avant que la mélodie s’évanouisse. La fluidité pleine des instruments, pour une voix longue et soutenue, nous vaut un réel bonheur. Tout fait sens, d’autant que la diction de la grande tragédienne sert la poésie autant que la ligne, rendant les surtitrages redondants. Les trois déplorations centrales, de la Chanson du pêcheur au Cimetière, seront autant de moments d’émotion vraie. La détresse (« que mon sort est amer ») du premier lamento, son animation passionnée, la douleur d’Absence, ses silences, son exaltation progressive, pour retrouver le triple piano de la confidence (« Reviens, reviens, ma bien-aimée »), la retenue de la fin, tout nous captive. Apaisé, résigné, recueilli, Au cimetière, n’est pas moins émouvant, où flûtes et clarinettes subliment le chant. La barcarolle finale – L’île inconnue – claire, lumineuse, légère et désabusée (« on ne la connait guère au pays des amours ») est d’un égal bonheur : les bois et les cors parviennent à colorer (triple piano) l’écrin où la voix dialogue avec elle-même. La fusion des lignes de chant avec un orchestre absolument chambriste est idéale, traduction de l’entente entre la cheffe et la soliste. Le romantisme à l’état pur, jamais démonstratif, sans sentimentalisme ni mièvrerie. Véronique Gens, Claire Gibault et ses amis sont longuement ovationnés par un public conquis.
« La Symphonie héroïque est tellement forte de pensée et d’exécution, le style en est si nerveux, si constamment élevé, et la forme si poétique, que son rang est égal à celui des plus hautes conceptions de son auteur. Un sentiment de tristesse grave et pour ainsi dire antique me domine toujours pendant l’exécution de cette symphonie » écrivait Berlioz à propos de l’Eroica (1). La lecture qu’en donnent les musiciens du Paris Mozart Orchestra, conduits par Claire Gibault traduit le plus fidèlement cette opinion. Même très familiers de l’ouvrage, nous sommes captivés, jamais l’attention ne se distrait. Energique, dégraissée, tendue comme rêveuse et lumineuse, la lecture nous comble. Les transitions, les progressions, les contrastes sont merveilleusement conduits. Avec le soin des lignes, la souplesse des phrasés, la vie de chacun des pupitres, toujours cela respire et chante. Le flux de la marche funèbre, dépourvue de pathos ajouté, émeut par sa retenue, avec une fin morcelée, palpitante. Le scherzo et le finale, dionysiaques, jubilatoires, vont soulever le public qui acclamera la cheffe et les musiciens, avant que Véronique Gens les rejoigne pour recevoir les bouquets.
(1) A travers chants.