On estime à plus de cinq millions rien qu’en France le nombre de personnes souffrant d’un handicap auditif. Comment rendre l’opéra plus inclusif en s’adressant à ces populations, tel est le défi auquel s’attaque le réalisateur, scénariste et producteur de cinéma vénézuélien, Alberto Arvelo à travers cette proposition inédite autour de Fidelio où les chanteurs sont doublés de comédiens du Deaf West Theatre, une compagnie théâtrale basée à Los Angeles et qui se consacre à mettre en valeur l’expressivité de la langue des signes. L’ouvrage est donné dans une version semi concertante : un escalier en guise de décors, des éclairages bien venus, des costumes vaguement ethniques (clairs pour les chanteurs et bigarrés pour les acteurs). Les dialogues parlés ici sont supprimés, ce qui ne raccourcit pas la durée de la représentation bien au contraire : ils sont en effet remplacés par la langue des signes et bien entendu, le surtitrage, avec un décalage de fluidité qui engendre de longs moments de silence entre les parties musicales. C’est peut-être une façon de rééquilibrer le handicap, d’autant que le défilement des surtitres est problématique dans ce contexte (il arrive que plusieurs surtitres s’affichent successivement alors que les acteurs ont déjà quitté la scène). Pour les parties chantées, les acteurs sont mis en avant, avec des mouvements très chorégraphiés parfaitement en phase avec l’action et la musique. Les chœurs eux-mêmes sont doublés par des acteurs. Tout ceci donne néanmoins l’impression d’une certaine agitation côté acteurs (on a parfois l’impression qu’il y a plusieurs chefs d’orchestre sur scène tant les mouvements de bras sont amples et coordonnés), d’autant que les chanteurs restent quant à eux en retrait, marmoréens, sauf à de rares occasions où ils interagissent entre eux ou avec leur double. Au final, on a tendance à regarder les acteurs, plutôt très bons, comme s’ils jouaient sur une bande-son. Le jeu très moderne, un peu outré dans certains cas (pouces levés pour indiquer sa satisfaction, Pizzaro qui prend des poses de maffioso…) introduit un autre décalage avec le style de l’ouvrage. Proposition intéressante mais dont on a du mal à mesurer l’impact sur les personnes auxquelles elle est censé s’adresser, malgré la présence notable de nombreux spectateurs utilisant la langue des signes à l’entracte (le Liceu nous a confirmé qu’une centaine de personnes malentendantes étaient présentes à cette soirée). Il est à noter que la présentation du spectacle sur le site de la Philharmonie de Paris où il sera donné prochainement ne détaille aucunement ce concept, comme s’il s’agissait d’une version-concert classique.
Andrew Staples offre à Florestan une voix claire et un timbre rayonnant, avec une belle projection. Sa maîtrise des registres lui permet de bien nuancer son chant : toutefois, quand on a entendu tant de ténors formidables dans ce rôle, on reste forcément sur sa fin quand les nuances que l’on attend n’y sont pas. Tamara Wilson est apparue très en retrait avec une voix peu projetée, inaudible dans les ensembles du premier acte. Elle retrouve ses moyens pour un « Abscheulicher! » de bonne tenue à défaut d’être mémorable. Même si elle en a toutes les notes, le rôle ne correspond pas à sa vocalité : la voix manque de largeur pour cette tessiture centrale (défendue habituellement par des sopranos plus dramatiques voire des mezzo-soprano) et ne se libère que dans le registre aigu. Son double, Amelia Hensley est en revanche extrêmement touchant dans son exubérance. James Rutherford est un Rocco correctement chantant mais sans grand relief, surtout comparé à son double Hector Reynoso qui brûle les planches. Même constat pour Don Pizzaro, chanté noblement et sobrement par Shenyang et surinterpété par Giovanni Maucere qui en fait la petite frappe qu’il n’est pas dans le livret. Gabriella Reyes est une Marzelline lumineuse, magnifiquement chantante, et sans doute la voix la mieux projetée du plateau : pour une fois, le double attire moins l’attention. David Portillo est également un Jaquino très musical et la voix est bien projetée. Patrick Blackwell est Fernando auquel il manque un peu de puissance pour son autorité supposée. Son double est à la limite du parodique.
Le Los Angeles Philharmonic n’offre pas la perfection attendue (les cors de « Abscheulicher! » sont autant en difficulté que d’habitude). Les deux chœurs assemblés pour le concert sont excellents, en particulier les voix masculines. Gustavo Dudamel offre une direction sobre plutôt légère, voire un peu en retrait, à mi-chemin entre l’éclat des grands orchestres romantiques et la souplesse des formations sur instruments d’époque. Comme souvent désormais, l’ouverture Leonore III n’est pas introduite au second acte.