Ne refaisons pas le débat sur les versions concert. Proposer Fidelio dans l’enceinte de la Tonhalle c’est avant tout mettre les chanteurs dans des conditions quasi idéales pour servir leur rôle et leur personnage. Y adjoindre une spatialisation aide toujours en ce qu’elle appuie les traits de caractère et matérialise légèrement les situations du livret. Affubler chacun des solistes, d’une chasuble, d’un béret pour Leonore (garçon manqué oblige), ou d’une pelisse façon « Thérèse un soir de Noël » pour Florestan n’apporte pas grand-chose. Excellente idée en revanche, d’Eva Buchmann qui signe le concept et la direction scénique de cette version semi-concertante donc de substituer les récitatifs de l’unique opéra de Beethoven par des extraits choisis de la correspondance du compositeur. Stefan Kurt les dit avec un soin tout particulier, soulignant la gravité ou l’humour de démiurge. On imagine que le public de la Tonhalle, chevronné et dans sa langue natale, n’aura pas souffert de l’absence des répliques prévues par le livret.
La distribution réunie mélange mozartiens expérimentés et wagnériens avec des bonheurs divers. Tareq Nazmi confirme tout le bagage acquis de ses années munichoises. Le matériau déjà ample et majestueux a encore gagné en brillant et en autorité. Il chante un Fernando proche de l’idéal. A l’inverse Shenyang capitalise uniquement sur un volume torrentiel aux dépens de l’expression. Voici un Pizzaro que l’on comprend aisément en colère mais qui n’inquiète jamais. Christof Fischesser, pris à froid par l’absence de récitatif, entame le concert entre deux voix. Les graves restent confidentiels et la ligne se cherche. Les choses s’arrangent après le quatuor. Michael Schade ferme le ban de ces wagnériens en goguette. Voix franche et volumineuse, on lui sait gré de tous les efforts qu’il déploie pour alléger le chant et nuancer dès que possible même si c’est parfois au prix de trous dans la ligne et d’approximations rythmiques. Son « Gott ! » enflé à la Kaufmann est du bel effet. Le reste de la distribution regarde du coté des emplois du 18e siècle. Patrick Grahl possède ce timbre si caractéristique des ténors retors d’un Mozart ou d’un Rossini. Un phrasé élégant et une bonne projection font le reste. Katharina Konradi lui oppose une pétulante Marzelline, parfaitement en place techniquement et au timbre délicieux. Enfin Jacquelyn Wagner convainc en Léonore. C’est un virage et un défi dans sa carrière, son répertoire gravitant autour de Mozart (à l’exception d’une Eva des Maitres Chanteurs). On la sent prudente et appliquée en attendant sa grande scène. Elle s’y jette tout entière, accusant seulement quelques faiblesses dues à un medium dont la chair ne demande qu’à se développer. Timbre soyeux, ligne racée, vocalises précises et aigus brillants assis sur une bonne projection… elle fait la démonstration tout le concert durant qu’il existe une autre voix que celle d’une Lise Davidsen pour rendre justice au rôle.
A la tête de son orchestre et sous la magnificence d’une Tonhalle récemment rénovée, Paavo Järvi offre une lecture musclée de l’œuvre. Il faut dire que le Tonhalle-Orchester Zurich répond aussi bien que les bolides qui défilent le long du lac. Si le tempo et les contrastes sont marqués, le chef peut compter sur la suavité des cordes et la volubilité des vents. Seuls quelques cors baillent en début de concert. L’acoustique généreuse de la salle ne désavantage pas les voix, comme les philharmonies modernes le font. Aussi, chef et phalange n’empiètent jamais totalement sur les chanteurs, malgré les formats décrits un peu plus haut. Le chœur enfin jouit d’une excellente préparation et viendra conclure un final grandiose.