Pour la reprise à la suite de la longue pause due à la pandémie, c’est un cycle consacré à Beethoven que propose le Festspielhaus de Baden-Baden, en jauge très réduite (500 places au lieu des 2500 habituelles). À la tête du Chamber Orchestra of Europe, le chef canadien Yannick Nézet-Séguin dirige l’intégrale des symphonies du 2 au 10 juillet 2021, avec quelques mois de retard sur le calendrier initialement prévu. Après une première soirée consacrée aux 8e, 4e et 5e symphonies, suivie le lendemain par une parenthèse consacrée à Schubert et à son Winterreise, où le chef accompagnait la sublime Joyce DiDonato au piano (chroniquée ici), c’est aujourd’hui au tour des 1ère et 9e symphonies de résonner dans l’immense salle.
On remarque tout de suite que le chef dirige la première œuvre sans partition, ce qui ne laisse pas de surprendre. D’entrée de jeu, le tempo pour la Symphonie n° 1 est extrêmement rapide et il faut moins d’une demi-heure pour que le Chamber Orchestra of Europe n’expédie, brillamment, les quatre mouvements, où les cuivres s’imposent très nettement, tout en permettant aux autres pupitres d’exprimer des palettes riches et de laisser éclater le brio de la création ainsi que du souffle de Beethoven.
Après la pause, le chef continue de diriger sans partition, usant d’une gestuelle spectaculaire et hallucinée, cette fois à toute berzingue, comme s’il fallait aller plus vite que la musique. Et la Neuvième est achevée en une petite heure à peine. Décidément, la chose est à la mode, comme on pouvait le découvrir par exemple avec Manfred Honeck à la tête du Pittsburgh Symphony Orchestra pour un CD chroniqué par Dominique Joucken, qui parlait justement de Beethoven-Express. Ici, c’est une sorte de fusée lancée droit vers le ciel, avec l’explosion finale d’un baiser au monde qui résonne comme jamais, la joie d’une certaine liberté retrouvée et de la renaissance du théâtre après le repos forcé en prime. Peu de legato mais des staccatos en crescendos et accelerandos à donner le tournis. Yannick Nézet-Séguin est littéralement sur orbite, mais même les spectateurs sourds auraient pu le suivre, tant il mime la partition avec précision. Les interprètes s’en donnent à cœur joie et l’on repère tout particulièrement le percussionniste, qui a droit à une ovation particulièrement appuyée. Cependant, on est constamment à la limite du télescopage, ce qui perturbe l’écoute et instille une inquiétude, pour ne pas dire un stress quelque peu désarçonnant. Du côté des cordes, les pizzicati paraissent relever d’un travail de bûcheron et pourtant, tout l’orchestre, instruments d’époque et modernes mêlés, semble à la fête. Il faut attendre de voir ce que cela va donner au disque, qu’on attend avec impatience.
Pour la partie chantée, une grande émotion s’empare du public dès les premières mesures portées par Florian Boesch, déjà entendu ici pour la même œuvre, mais sous la direction, alors, de Sir Simon Rattle. Ce soir, tout n’est que miel et noblesse chez le baryton-basse. Le texte mieux que bienvenu pour accompagner le retour de la musique dans ces lieux semble déclencher une liesse qui s’empare aussi bien des solistes que des choristes de l’Accentus Chor, impeccables. La soprano Siobban Stagg et la mezzo Ekaterina Gubanova nous offrent une beauté de timbres merveilleusement appariés, soutenues superbement par le très élégiaque ténor Werner Güra. Cela dit, la cadence infernale imposée à tous provoque quelques collisions et élocutions quelque peu heurtées. Qu’importe, la jubilation qui rayonne du plateau déferle sur les spectateurs qui acclament les interprètes après le finale en apothéose, alors que le chef sautille d’un pupitre à l’autre pour accompagner leur triomphe, déclenchant des salves d’applaudissements pour chaque formation qu’il va saluer en personne.
© Andrea Kremper
Interrogé sur ce projet d’intégrale des symphonies, Yannick Nézet-Séguin a exprimé son enthousiasme et déclaré qu’il avait notamment envie de faire ressortir chaque instrument de la formation symphonique dans un esprit « de chambre » pour le Chamber Orchestra of Europe. Composé de musiciens qui poursuivent des carrières individuelles tout en se rassemblant pour des tournées internationales, l’orchestre a déjà enregistré les symphonies de Beethoven avec Nikolaus Harnoncourt. On attend donc beaucoup de cette nouvelle intégrale enregistrée pour Deutsche Grammophon et en attendant la sortie des disques, l’ensemble est disponible sur la plateforme de streaming du Festspielhaus, pour un tarif de 10 euros par concert.