L’heure est à la modernité à l’Opéra de Nice. Alors que notre confrère André Peyrègne saluait la récente nouvelle production d’Akhenaten de Philipp Glass, voici qu’une semaine après s’ouvre le festival Manca, consacré à la création contemporaine. On retrouve en ouverture le Château de Barbe-Bleue de Bartók, accompagné d’une nouvelle pièce pour orchestre de Daniel D’Adamo.
Fabula est une vigoureuse page symphonique d’une vingtaine de minutes, où le compositeur argentin résidant en France explore avant tout les possibilités du discours. On salue un sens aigu du timbre et de l’instrument, bien que les cordes en léger sous-effectif aient probablement nui à la réalisation optimale de chaque élément d’orchestration.
Couplé à cette nouvelle page d’orchestre, on retrouvait ce classique du XXe siècle qu’est le Château de Barbe-Bleue. Grand favori des opéras en version de concert (ce soir n’est pas une exception), cette page lyrique n’a rien perdu de sa force ni de son souffle dramatique, à tel point que l’on aimerait la voir plus souvent mise en scène, où son potentiel expressif serait certainement décuplé.
L’Opéra de Nice recevait un fort beau tandem pour servir l’œuvre. La basse Miklós Sebestyén joue à domicile avec le texte hongrois, nous gratifiant d’un prologue récité avec beaucoup d’aplomb. Son Barbe-Bleue est un souverain résigné et taiseux, qui connaît déjà l’issue de sa relation avec Judith, mais ne se prive pas pour autant de quelques exclamations solaires autour des quatrièmes et cinquièmes portes. Le timbre est sombre et luisant, et toute sa prestation témoigne d’une profonde compréhension de l’ouvrage.
Eve-Maud Hubeaux lui donne une réplique d’une vivacité bienvenue. Sa Judith est d’emblée animée d’une passion sincère pour ce comte taciturne, qu’elle s’efforcera de raviver en ouvrant les portes de son château. Les moyens de son mezzo lyrique sont tout à fait à la hauteur d’un rôle pourtant exigeant. Les graves sont bien présents et chaleureux, tandis que l’aigu ne souffre d’aucune entrave (quel contre-ut à l’ouverture de la cinquième porte !).
La direction souveraine de Marko Letonja tire de l’Orchestre philharmonique de Nice de belles sonorités d’ensemble. On regrette parfois une justesse et un coordination approximative dans les recoins plus chambristes de la partition.
A l’aube du festival Manca, il est réjouissant de voir qu’une telle place soit accordée à la création et aux classiques de la modernité. On espère vivement que ces choix se retrouveront dans la saison à venir.