C’est une sorte de fidélité très ancienne à un chanteur qui a toujours suscité chez moi beaucoup d’enthousiasme et d’émotion qui m’avait poussé à retenir ce spectacle : l’affiche annonçait Thomas Hampson et il venait à Bruxelles pour chanter Mahler.
Hélas, pour raisons de santé, le baryton américain s’est vu contraint d’annuler son engagement deux jours avant le concert, et c’est par un véritable coup de chance que Matthias Goerne s’est trouvé libre et disposé à reprendre le flambeau au dernier moment. Deux courtes répétions ont paraît-il suffit à accorder le soliste, le chef et l’orchestre.
Mathias Goerne © Caroline de Bon
Mais la soirée commence par une œuvre totalement inédite, due à la plume de Verdi. A l’occasion de la première représentation de Nabucco à Bruxelles, en 1848, dans un climat politique tendu par l’amorce de révolutions dans les principales villes européennes, Giuseppe Verdi composa une série de divertissements pouvant servir de musique de ballet. Il sacrifiait ainsi à la tradition française d’intégrer des épisodes dansés, dont le public masculin de l’époque était particulièrement friand, aux représentations d’opéra. Longtemps considérée comme perdue, la partition de ces divertissements a été retrouvée récemment à la Villa Verdi de Sant’Agata, grâce au travail du musicologue danois, grand spécialiste de Verdi, Knud Arne Jürgensen. Une première « re-création » eut lieu à Parme, en septembre 2021 dirigée par Roberto Abbado, et c’est à l’amitié qui unit Jürgensen et Michaël Schönwandt qu’on doit la programmation de cette partition, symboliquement jouée à Bruxelles pour la première fois depuis sa création. Pleines d’entrain, mettant particulièrement l’orchestre en valeur, ces pièces, qui totalisent une douzaine de minutes de bonne musique, constituent une première partie de programme inédite et fort intéressante, joyeuse et festive à souhaits.
Aucune annonce officielle n’avait prévenu le public du changement de soliste et des publicités radiodiffusées sur la chaîne nationale mentionnaient encore le matin même le nom de Hampson ; et même si des bruits circulaient dans la salle avant le début du spectacle, l’entrée en scène de Matthias Goerne fit sensation ! Très à son aise, décontracté comme toujours, le baryton entre dans la partition à pleine voix, face à un orchestre qui – galvanisé par le prestige du soliste – donne le meilleur de lui-même, c’est à dire beaucoup de volume, en particulier aux cordes, mais peut-être pas toujours autant de transparence qu’il y faudrait. La voix s’intègre subtilement au tissu orchestral mais ne le domine pas, alors que le soliste apporte un grand soin aux aspects narratifs de l’œuvre. La détente du corps, qui bouge abondamment, dansant quasiment d’un pied sur l’autre, portant le regard de tous côtés, est une des caractéristiques du maintien en scène un peu étonnant de Goerne depuis quelques années, mais qui ne nuit en rien à sa concentration. La partition est déroulée entièrement de mémoire, sans aucune faille, avec une concentration et une intensité parfaites, dans des couleurs sombres, cuivrées, automnales magnifiques et un constant souci du texte. La complicité du soliste et du chef est évidente, même si l’on ne se souvient pas de les avoir entendus ensemble depuis très longtemps.
Après la pause, la quatrième symphonie de Tchaïkovski, tonitruante, fait ressortir les qualités sonores de l’orchestre et son enthousiasme communicatif, mais aussi quelques faiblesses dans la réalisation, et une lecture très objective de la partition, laissant peu de place à l’épanchement lyrique ou à la poésie.