Malgré son échec initial, La Damnation de Faust a su au fil des années conquérir le public, devenant l’ouvrage lyrique le plus populaire du compositeur notamment par le biais de son adaptation scénique. La version de concert présente l’avantage de nous permettre de nous concentrer sur les aspects purement musicaux de cette partition et nous évite de nous attarder sur le caractère décousu de la narration. A la tête d’un Orchestre du Capitole de Toulouse en pleine forme, Tugan Sokhiev profite pleinement de ce format pour proposer une lecture raffinée et très attentive à la qualité du son, absolument magnifique. La direction est en revanche peu contrastée, le chef privilégiant la continuité sur les changements d’atmosphères pourtant primordiaux. Seul le final, avec sa « Course à l’abîme » et son « Pandémonium » particulièrement dramatiques, viennent infirmer cette impression de sagesse exagérée. Si l’orchestre est excellent, les Chœurs ne le sont pas moins, avec des nuances tout à fait remarquables, en particuliers dans les piani.
Après un Robert le diable londonien particulièrement électrisant, on attendait peut-être un peu trop du jeune ténor américain Bryan Hymel pour un rôle plus introverti que spectaculaire. La projection paraît un peu faible (à sa décharge, l’acoustique de la nouvelle Salle Pleyel est assez capricieuse pour les voix et encore plus pour celles des ténors). La maîtrise du français est parfaite, tant en ce qui concerne l’articulation que l’accent : à peine regrettera-t-on quelques sonorités un peu trop nasales qui disparaîtraient aisément par un travail avec un répétiteur français. Le registre suraigu est particulièrement impressionnant, avec les deux magnifiques ré-bémol écrits donnés à pleine voix, et un troisième rajouté en guise de cri d’horreur final. Si le personnage manque un peu de personnalité, du moins au début de l’ouvrage, « l’Invocation à la nature », qui met souvent en difficulté les voix un peu claires, est ici maîtrisée de manière exemplaire, avec musicalité et poésie. Au total, on appréciera donc une belle prise de rôle (ou quasi) qui reste à confirmer par une pratique plus assidue de l’ouvrage.
Bonne prononciation du français également de la part d’Alastair Miles, mais le chant laisse davantage à désirer avec une ligne un peu chaotique, un aigu rétréci et une tendance excessive à la vocifération. Quant au personnage, s’il y en a un, il ne dépasse pas la caricature. Paris ayant eu la chance d’entendre en Méphisto des interprétations aussi diverses que celles de Ruggero Raimondi, Samuel Ramey ou José van Dam, il y a de quoi, il est vrai, de se montrer un peu difficile.
On saura gré à Olga Borodina de faire sortir la soirée de sa torpeur initiale : voilà ce qu’on appelait autrefois « une voix ». Impressionnante par sa projection, le mezzo russe semble n’avoir presque rien perdu de ses moyens. A peine notera-t-on une relative altération de l’aigu. Le timbre reste riche, l’incarnation émouvante mais sans outrances, la voix se révélant capable de tout un éventail de nuances d’une grande justesse. Sans atteindre la perfection, son français reste également très correct. Signalons pour finir le Brander impeccable de René Schirrer.
Au final, un beau concert, mais auquel manque ce supplément d’âme qui fait les grandes soirées.