Voilà bien longtemps que l’Opéra Royal de Wallonie-Liège n’avait pas résonné de la partition d‘I Capuleti e i Montecchi puisque, lors des dernières représentations, en 2010, le bâtiment était en travaux.
C’est donc une fête aujourd’hui, d’accueillir cette très convaincante production où Allex Aguilera file une métaphore limpide pour caractériser le parcours de son couple légendaire.
Il installe d’abord son héroïne dans une boite, comme toute jeune fille ne devant jamais sortir des limites strictes imposées par les convenances, le devoir d’obéissance. Les danseuses appuieront ce trait au cours de la soirée. L’image est à la mode ces derniers temps dans de nombreuses productions, tant à l’opéra – Cosi fan Tutte ce mois-ci au Bayerisches Staatsoper de Munich – qu’au théâtre – Dissection d’une chute de neige, « biographie » de la reine Christine de Suède par Christophe Rauck aux Amandiers-Nanterre -.
Juliette naturellement, s’émancipe de ce cadre réducteur pour embrasser son destin tragique. Ce faisant, elle s’approche, puis chemine finalement dans le miroir d’eau qui occupe toute l’avant scène. Aucun pont ne permet de l’enjamber, il bute sur un mur sans issue apparente. Ce clin d’oeil à Venise, lieu de création de l’opéra n’est pas gratuit. Hors cadre, lui aussi, ce canal devrait constituer une frontière naturelle aux déplacements dont l’héroïne s’affranchit jusqu’à y découvrir la fiole de poison qui lui permet de retrouver son amant dans la tombe.
La présence d’eau sur scène – techniquement complexe – est aussi rare que captivante et permet également des jeux de miroitement sublimés par les belles lumières de Luis Perdiguero. Il constitue également l’occasion pour Juliette de reproduire très exactement la pose du Narcisse de Caravage, évoquant ainsi subtilement les dangers de l’amour de soi, mais également ceux de la passion amoureuse qui est obsession de soi à travers l’autre. Autant d’écueils que l’héroïne saura éviter jusqu’à sa fin tragique qui résonne ainsi dans l’imaginaire d’autres destinées comme celles de Mélisande, Ondine ou Ophélie.
Allex Aguilera signe ici à la fois les décors et la mise en scène. Il intrique les deux éléments avec beaucoup d’intelligence et de lisibilité.
Rosa Feola ©J-Berger_ORW-Liège
La Juliette de Rosa Feola sert formidablement ce propos. Sans mièvrerie aucune, elle dessine une personnalité contrastée, où la sensibilité le dispute à la volonté. Soprano agile aux aigus bien couverts, aux phrases conduites avec sensibilité et raffinement, elle aquarelle à plaisir son bel canto de nuances délicates qui la rendent plus touchante encore. Elle étire les silences dès son Eccomi, les chargeant de toute l’incertitude et de la fragilité de ce personnage qui bascule hors de la loi commune.
Le couple qu’elle forme avec Raffaella Lupinacci est parfaitement crédible d’autant plus que les timbres des deux cantatrices s’harmonisent particulièrement bien avec des couleurs communes très flatteuses pour l’oreille et un merveilleux travail de nuances et de couleurs dans les duos.
La mezzo pourrait afficher une virilité moins démonstrative – torse perpétuellement bombé, jambes écartées de manière excessive – mais quel legato, quels splendides graves poitrinés ! Toute la scène finale au tombeau – acte II, scène 3 – s’avère poignante, d’une grande justesse émotionnelle et d’un raffinement vocal proverbial.
Maxim Mironov est un Tebaldo fort séduisant, à la projection puissante, mais aux aigus parfois forcés et manquant de hauteur, contrairement au Capellio de Roberto Lorenzi, très articulé, tout en autorité glacée. Le contraste est parfait avec le Lorenzo franc et chaleureux d’Adolfo Corrado.
Quelques petits bémols sont à signaler : le plancher qui craque de manière très invasive, les robes peu seyantes et hors style de Juliette alors que le reste du plateau est superbement habillé en tenues de l’époque de la création de l’œuvre par Françoise Raybaud avec des harmonies de gris, grèges et noirs pour le camp Capulet et des couleurs vives mais très harmonisées pour leurs ennemis jurés, les Montaigus.
Le Choeur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège porte beau, certes, mais intervient également avec beaucoup de subtilité, soutenu par Maurizio Benini, chef attentif alternant une baguette nerveuse comme dans la Sinfonia d’ouverture et une respiration ample lorsque la partition l’exige. Cette dernière regorge de soli instrumentaux qui mettent en valeur la musicalité de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, avec un moment de grâce pure à la clarinette.