Rien ne semble résister à Nadine Sierra. Gilda, Lucia, Traviata et maintenant Amina, la soprano américaine continue de sidérer, chaque nouveau rendez-vous affirmant une progression technique et artistique ininterrompue. Ce soir de première catalane de La sonnambula de Bellini marque donc une nouvelle étape. Son souffle infini lui autorise les audaces les plus ébouriffantes : ligne vocale sans fin, messa di voce, sons filés côtoient enchainement des trilles, stacchati et tout ce que la grammaire belcantiste peut offrir. Et si le frisson n’est pas né de ces pyrotechnies qui culminent largement au-dessus de la portée (jusqu’au contre fa), l’incarnation scénique et l’engagement dramatique achèvent de convaincre. L’ovation qui l’accueille aux saluts résonne comme celles qui accueillaient les monstres sacrés de nos discothèques.
Heureuse artiste qui trouve à Barcelone un ténor à sa juste mesure. Xabier Anduaga possède tout ce qu’il faut pour chanter Bellini. Tessiture aisée et souffle généreux lui permettent un phrasé léché, rompu à l’écriture rubinienne. La beauté du timbre se marie avec les demi-teintes et les pianos pour brosser le portrait du jeune amoureux follement épris ou dangereusement jaloux. En comparaison, la basse Fernando Radó propose un chant bien moins châtié et campe un Comte assez prosaïque. Cueillie à froid, Sabrina Gàrdez chancelle dans la scène d’ouverture avant de se rattraper au deuxième acte avec un air mené avec un technique sûre et belle aisance à l’aigu. Carmen Artaza enfin incarne une Teresa tout en douceur, figure maternelle et humaine.

Le chœur du Liceu, lui aussi habitué de ce répertoire régulièrement mis à l’honneur sur la Rambla, anime avec grand style les scènes où il est présent. Virtuose, il suit sans mal les variations de tempo choisies par Lorenzo Passerini. Ce dernier s’inscrit dans la tradition d’interprétation italienne entre cantilènes alanguies, strettes endiablées et coda dantesques. L’orchestre fait lui aussi montre de toute sa versatilité en maintenant sa cohésion et sa rutilance dans toutes ces embardées. Les solistes (le violoncelle en particulier) achèvent de couronner cette excellence artistique.
Comme le démontre l’orchestre et son chef, il n’est pas besoin de rechercher l’originalité du propos dans une telle œuvre. Aussi le choix vu et revu d’accompagner l’intrigue d’une troupe de danseur trouve très vite sa limite. Nous les voyons d’abord comme des esprits qui viennent tourmenter Amina pendant la préparation de sa noce. Ces démons rodent encore aux abords de la chambre du Comte. Pourtant, passée l’introduction du deuxième acte, ils disparaissent purement et simplement. Amina a-t-elle triomphé de son mal ? Ce fil rouge inachevé laisse la production orpheline. Ne restent alors qu’une direction d’acteur sommaire et des décors austères. Dommage donc que la metteurse en scène Barbara Lluch n’ait pas su joindre sa voix à cette fête musicale.