Le Semperoper de Dresde inaugure cette nouvelle co-production de La Sonnambula avant Paris, New York et Nice. Rolando Villazón signe une mise en scène d’excellente facture, ce qui n’a rien d’une évidence si l’on considère un livret qui hésite entre niaiserie, indigence et invraisemblance. La lecture de la pièce est fouillée (trop parfois peut-être, d’où ce sentiment d’une vision un peu scolaire de celui qui veut trop démontrer) mais on saura gré au ténor reconverti d’avoir réfléchi à une approche originale, intéressante et parfois passionnante.
Dans la vision du metteur en scène, nous avons affaire à deux mondes en opposition frontale. Ceux-ci sont clairement identifiables sur scène : il y a le monde d’en haut et le monde de ceux qui ne parviennent pas à s’élever. Une sorte de ligne de crête sépare ces deux univers : nous sommes dans un village au milieu des Alpes, les hautes montagnes et le ciel occupent le haut de la scène, séparée du monde d’en bas par une ligne de glaciers accidentée, qui rend difficile le passage entre les deux univers.
Le monde d’en bas, c’est l’univers chloroformé, aseptisé, rigoriste, sombre, d’une société villageoise enferrée dans des traditions ancestrales et une religiosité qu’elle n’interroge plus. C’est celui de Lisa et d’Alessio, celui aussi et surtout d’Elvino qui, du début à la fin, se montrera incapable de s’évader de ce carcan, y compris lorsqu’à la conclusion, il aura compris qu’Amina ne l’a pas trompé. C’est un monde uniforme ou tout est gris (les costumes, invariablement), où nul ne doit se mettre en avant (le village est représenté par neuf portes identiques).
C’est là qu’a grandi Amina ; la seule façon pour elle de se sortir de ce marasme c’est de s’évader lorsqu’elle dort. La somnambule qu’elle est, alors tout de blanc vêtue, parvient à s’échapper, à pénétrer le monde d’en haut, celui des nuages, du ciel et des montagnes. Belle idée d’ajouter une figurante, double d’Amina, qui l’accompagne d’en haut, dans ces deux scènes de somnambulisme.
© Ludwig Olah
Le monde d’en haut, c’est bien celui d’Amina, qui rêve d’espace et d’évasion ; elle rêve aussi d’y entraîner son fiancé. Une jeune villageoise lui offre comme cadeau de mariage un globe terrestre ; rien ne peut davantage faire plaisir à la future mariée puisque ce globe, synonyme de voyages et d’évasions, préfigure la sortie de son quotidien étriqué. Ce globe terrestre est au centre du retournement de situation final : alors qu’Elvino a bien compris que sa fiancée lui est restée fidèle et se décide enfin à l’épouser, celle-ci lui offre ce globe, gage de leur nouveau départ. Mais Elvino, incapable quant à lui de sortir de son univers étriqué, infichu de se laisser convaincre par Amina, jette rageusement le globe à terre, signant par là une rupture définitive. Almina fulmine contre son fiancé, retire sa bague de fiançailles, la jette au loin et s’en va rejoindre, seule, son univers à elle. Point de happy end donc, Villazón opère cet ultime renversement de situation qui marque que décidément les deux univers proposés sont définitivement irréconciliables. Pour servir cette vision, Johannes Leiacker signe des décors simplissimes, certains diront caricaturaux, mais qui servent opportunément le propos.
Musicalement, la soirée est contrastée. Les chœurs sont remarquables de précision et de finesse. Finesse qui manquera parfois à l’orchestre, même si la pâte sonore de la Staatskapelle est toujours aussi onctueuse. La Staatskapelle Dresden, qui fête cette année ses 475 (!) ans, était dirigée pour l’occasion par Antonello Allemandi à la battue sobre et qui propose un tempo parfois timoré.
Sur scène, on louera la basse de Georg Zeppenfeld, habitué des lieux. Le grave est dense, la voix est rêche et sans doute moins adaptée au bel canto qu’aux rôles plus lourds où Zeppenfeld excelle : il sera l’été prochain Gurnemanz, Daland et Hunding à Bayreuth 2024. Reut Ventoreno est une Teresa intelligente, dont la voix gagne en assurance dans le trio/quatuor/ensemble du II. Martin-Jan Nijhof est une Alessio qui défend son bout de gras sans toutefois y parvenir : belle présence physique. Ofeliya Pogosyan chante Lisa de bien belle façon ; le timbre n’est pas sa qualité première mais la technique est assurée, sauf quand on arrive dans les aigus forte, où l’effort n’est plus entièrement maitrisé. La déception vient de l’Elvino de Maxim Mironov, clairement sous-dimensionné pour rendre justice à une partition truffée de virevoltes et d’embûches. Il nous manque trop de notes, il nous manque des reprises, il nous manque une puissance capable de rendre crédible le personnage.
Aucun problème de crédibilité pour l’Amina d’Emily Pogorelc qui allie une voix de toute beauté à un jeu de scène on ne peut plus convaincant et sur lequel repose pour l’essentiel le parti pris du metteur en scène. Contrairement à son fiancé, Pogorelc chante tout – elle devra toutefois travailler un point précis : ses suraigus fortissimo, actuellement non maîtrisés et qui tranchent avec la délicatesse des autres registres de l’ambitus.