Que le fantôme de Maria Callas hante le rôle de Norma ne fait pas de doute. Est-ce une raison pour l’invoquer sur la scène de l’Opéra du Rhin à l’occasion d’une nouvelle production du chef d’œuvre de Bellini ? Rien n’est moins sûr. Outre le poids de la référence, le parallèle esquissé par Marie-Ève Signeyrole entre le trio formé par Callas, Onassis, Jackie d’une part et Norma, Pollione, Adalgisa d’autre part ajoute un niveau supplémentaire de confusion à une transposition que l’on avoue ne pas avoir comprise. Non que l’on soit plus bête que la moyenne – ni plus intelligent – mais les trois strates de lecture induites par une double tournette à laquelle se superposent des projections vidéo rendent difficile à décrypter l’histoire que l’on tente de nous raconter, en décalage total avec les surtitres. Où sont les druides, romains et autels mentionnés à maintes reprises par le livret ? Foin de cartésianisme. Divulgâchons : Norma, qui est la prima donna de l’opéra d’un pays en guerre, finira par poignarder le fantôme de Callas, comme pour ajouter une nouvelle couche au salmigondis théâtral.
© Klara Beck
Cette production alsacienne n’avait heureusement pas attiré notre attention pour sa probable relecture de l’opéra de Bellini mais pour la première Norma scénique de Karine Deshayes, après un coup d’essai concluant en version de concert à Aix il y a deux ans. Et là pour le coup, le résultat est à la hauteur de l’attente. La technique superlative cisèle une partition dont aucune note n’est omise, aucune difficulté contournée. L’aigu jaillit droit, d’une précision imparable, à des hauteurs que l’on pensait réservés aux sopranos. Innombrables sont les effets convoqués pour aider à la caractérisation : notes enflées, diminuées, piquées, trille, mezza voce… Norma belcantiste donc, plutôt deux fois qu’une fois, avec ce que cela suppose de souffle, de nuance et d’agilité au détriment d’une certaine pugnacité. Norma à la voix d’or, moins amante ou prêtresse drapée dans une autorité souveraine, que maternelle et maternante, à son acmé dans les duos avec Adalgisa – « Oh rimembrenza » au premier acte proche du sublime, sur le fil, en une fusion idéale de timbres.
Encore eût-il fallu à notre valeureuse prima donna un entourage à sa hauteur. A l’exception de Benedetta Torre dont la jeunesse – avec pour conséquence logique une moindre science du chant – sied à l’Adalgisa d’une telle Norma, Önay Köse est un Oroveso massif, aux appuis trop marqués, et Norman Reinhard, à court d’aigu, viole aussi effrontément la justesse que Pollione l’enceinte sacrée du temple d’Irminsul.
Déconcertante, la direction d’Andrea Sanguineti avec ses tempi fluctuants ne peut communiquer le feu sacré à l’Orchestre symphonique de Mulhouse, désavantagé par une partition qui le transmute en fanfare de patronage, tandis que le chœur, pris au dépourvu par la ferveur pieuse de « Dell’aura tua profetica », ne trouve un semblant de cohérence qu’au deuxième acte.
Les prochaines représentations* devraient aider l’équipe à mieux trouver ses marques, et les mois à venir offriront à Karine Deshayes trois autres Norma, à Marseille, Bordeaux et Toulouse, dans la mise en scène d’Anne Delbée qui avait ouvert la saison 2019-20 du Capitole. A charge de revanche !
*13, 16, 18, 20 juin à Strasbourg et 28, 30 juin à Mulhouse