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BENJAMIN, Lessons in Love and Violence – Paris (Philharmonie)

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Spectacle
17 octobre 2023
Leçons de ténèbres

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en deux parties et sept scènes de George Benjamin

Livret de Martin Crimp d’après Édouard II de Christopher Marlowe

Création à Londres, au Royal Opera House, le 10 mai 2018

Détails

Mise en espace
Day Ayling
Livret
Martin Crimp
Le Roi
Stéphane Degout
Isabelle, sa femme
Georgia Jarman
Gaveston, l’Etranger
Gyula Orendt
Mortimer
Toby Spence
Le Garçon, Jeune Roi
James Way
1er témoin / 1ère chanteuse / 1ère femme
Hannah Sawle
2e témoin / 2e chanteuse / 2e femme
Emilie Renard
3e témoin / Le Fou
Andri Björn Róbertsson
Orchestre de Paris
Direction musicale
Sir George Benjamin
Paris, Philharmonie, mercredi 12 octobre 2023, 20h

Lorsque George Benjamin entre sur la scène de la Philharmonie de Paris pour se diriger vers son pupitre, on se prend à penser que cet homme-là possède un je-ne-sais quoi d’irrésistiblement tendre et de sympathique. Comment imaginer alors que sous une apparence aussi amène, une âme soit capable d’enfanter une musique d’une telle noirceur ? Quelques années après sa création au Royal Opera House en mai 2018 à laquelle nous avions assisté, Lessons in Love and Violence nous étouffe encore. Lentement, progressivement, sûrement.

Paris, le 12 octobre 2023. GEORGE BENJAMIN / LESSONS IN LOVE AND VIOLENCE
Orchestre de Paris ©Denis ALLARD / Philharmonie de Paris

Elles nous étouffent d’abord par leur dramaturgie. Inspirée du très shakespearien Édouard II de Christopher Marlowe, l’histoire raconte le crépuscule d’un roi sans nom qui a décidé de tout sacrifier par amour, à la recherche du divertissement, quand il faudrait s’attacher à ses obligations politiques. Malgré le complot ourdi contre lui par son épouse Isabel et son conseiller militaire Gaveston devenus amants, la force et la finesse du livret de Martin Crimp est de nous montrer que cette fin de règne est avant tout une entreprise autodestructrice de la part de ce roi, dont le désir sans doute inconscient est d’entraîner le monde dans sa chute. La dimension a posteriori psychanalytique du livret – dont le titre est annonciateur – réside dans un érotisme classiquement associé à la pulsion de mort : « How would you kill me? » demande le Roi à son amant dans un long baiser ardent… Bienvenue chez les fous. Et cette folie se manifeste d’ailleurs dès les premières lignes du livret par une violence disproportionnée, en particulier dans ce « Don’t bore me with the price of bread! » asséné dans une longue note tenue, glaçante, ou encore lorsque le Roi répète tel une machine détraquée : « King! I am king! I am I am king! ». Cette obsession de la répétition trahit la tentative de combler un vide, de donner corps à une réalité qui n’existe pas dans un but d’appropriation. Les prémices de la fin sont donc là, dès le départ, et l’on comprend que ce n’est plus qu’une question de temps. Peu à peu, l’étau se resserre autour de ce Roi qui se retrouve bientôt dans l’impuissance d’agir. C’est peut-être lui l’« homme creux » dont parlait T.S. Eliot.

Paris, le 12 octobre 2023. GEORGE BENJAMIN / LESSONS IN LOVE AND VIOLENCE
Orchestre de Paris ©Denis ALLARD / Philharmonie de Paris

Ces « leçons » nous étouffent aussi par la musique. D’une extrême intensité, celle-ci avance lentement, comme un élastique que l’on étire sans qu’il cède jamais. Les rares envolées lyriques et les notes tenues côtoient un quasi parlando, haché, heurté, parfois même aboyé. On a parfois même l’impression d’entendre le langage dépouillé d’un chant grégorien. Pas de bavardages, juste l’essentiel. Pourtant, les contrastes sont rares, et la tonalité, la texture harmonique quasi identiques de bout en bout ne sont pas loin de provoquer en nous une certaine lassitude. Les scènes de chiromancie apparaissent alors comme de purs moments de respiration et de sensualité salutaires où chante l’Orient, avec cet emploi inaccoutumé du zarb, d’origine perse, du tumba et du cymbalum, lui-même de sonorité très proche avec le santour perse.

Paris, le 12 octobre 2023. GEORGE BENJAMIN / LESSONS IN LOVE AND VIOLENCE
Orchestre de Paris ©Denis ALLARD / Philharmonie de Paris

La clarté du chant de James Way et son physique juvénile donnent un crédit certain au personnage du Garçon et futur Jeune Roi, le jeune ténor maîtrisant parfaitement le passage en voix mixte exigé par endroits. Sa mère, Isabel, est remarquablement interprétée par l’élégante Georgia Jarman dont il faut saluer les talents d’actrice, l’agilité vocale et l’aisance déconcertante dans les aigus et les suraigus sans sacrifier à la projection. Mortimer, son amant, conseiller du Roi, est honorablement interprété par un Toby Spence au timbre de voix métallique, qui revêt l’autorité et la duplicité que l’on attend du rôle. Son rival, Gaveston, trouve en Gyula Orendt beaucoup de caractère, d’expressivité et de charisme. Créateur du rôle, le baryton a gagné en subtilité dans un jeu où la manipulation affleure avec beaucoup de vraisemblance. Quant à Stéphane Degout, il campe un Roi toujours aussi impressionnant, qui laisse entrevoir sous son apparente assurance la faille profonde qui causera son renoncement et sa mort enfin. Les trois seconds rôles, qui n’en demeurent pas moins exigeants vocalement, demeurent très convaincants : saluons l’engagement d’Andri Björn Róbertsson dans le rôle difficile du Fou, la richesse du timbre d’ Emilie Renard ainsi que l’agilité vocale d’une voix bien placée chez Hannah Sawle.

Paris, le 12 octobre 2023. GEORGE BENJAMIN / LESSONS IN LOVE AND VIOLENCE
Orchestre de Paris ©Denis ALLARD / Philharmonie de Paris

L’Orchestre de Paris interprète magistralement la partition de George Benjamin qui continue de diriger son propre opéra, maintenant l’auditoire dans cet état de suffocante tension dans le déploiement des sons et les étincelles dramatiques. On pourrait cependant regretter qu’un(e) autre chef(fe) ne dirige cette œuvre pour nous donner à l’entendre sous un jour nouveau. Quant à la mise en espace de Dan Ayling, elle a plus que largement emprunté au travail de Katie Mitchell et de Joseph Alford sur la création en 2018, en particulier la direction d’acteurs, ce qui rend difficile un quelconque jugement sur la singularité ou l’inventivité du travail de ce jeune metteur en scène. Les accessoires demeurent par ailleurs assez frustes, et il est dommage qu’aucun soin n’ait été apporté sur le choix des costumes des chanteurs qui apparaissent dépareillés, ce qui peut surprendre pour un opéra mis en espace. Mais ces quelques fausses notes ne nous feront pas perdre de vue l’essentiel, à savoir la nécessité d’une œuvre telle que Lessons in Love and Violence, dont la force universelle continue d’éclairer notre monde, sa beauté, ses ténèbres.

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Opéra en deux parties et sept scènes de George Benjamin

Livret de Martin Crimp d’après Édouard II de Christopher Marlowe

Création à Londres, au Royal Opera House, le 10 mai 2018

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Mise en espace
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Martin Crimp
Le Roi
Stéphane Degout
Isabelle, sa femme
Georgia Jarman
Gaveston, l’Etranger
Gyula Orendt
Mortimer
Toby Spence
Le Garçon, Jeune Roi
James Way
1er témoin / 1ère chanteuse / 1ère femme
Hannah Sawle
2e témoin / 2e chanteuse / 2e femme
Emilie Renard
3e témoin / Le Fou
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