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BERLIOZ, La Damnation de Faust – Liège

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Spectacle
30 mars 2025
Mais Marguerite est sauvée

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Hector Berlioz (1803-1869)
La Damnation de Faust, légende dramatique en quatre parties, sur un texte du compositeur et d’Almire Gandonnière, d’après Goethe, créée à Paris le 6 décembre 1846

Détails

Saimir Pirgu
Faust

Julie Boulianne
Marguerite

Erwin Schrott
Méphistophélès

Louis Morvan
Brander

Marlène Assayag
La voix céleste

 

Chœur et orchestre symphonique de l’opéra royal de Wallonie

Direction musicale
Giampaolo Bisanti

 

Liège, Opéra royal de Wallonie, 28 mars 2025, 20h

Partons d’un constat : La Damnation de Faust est à la fois le chef-d’œuvre de Berlioz et une œuvre impossible. Impossible, dans tous les sens du terme. Impossible d’abord à cause de sa nature hybride. « Légende dramatique » écrit Berlioz sur le frontispice de la partition, mais cette appellation ne correspond à aucun genre musical connu. Oratorio ? On pourrait le penser, mais les personnages y sont tellement individualisés qu’ils semblent se mouvoir sur une scène. Est-ce alors un opéra ? Les tentatives de représenter la pièce furent légion depuis 1893 et la tentative de Raoul Gunsbourg à Monte-Carlo. Si certaines furent intéressantes, aucune n’est parvenue à nous convaincre pleinement. Impossible ensuite par le fait que sa musique représente un des Himalayas de l’histoire de l’art. Au sommet de sa maturité, Berlioz y déverse tout sa science de l’orchestre, sa stupéfiante maîtrise de la polyphonie chorale et son écriture vocale à la fois neuve, expressive et redoutablement difficile. Toute la condition humaine est illustrée dans ce kaléidoscope : de la solitude du savant à la joie débridée des tavernes, de la contemplation de la nature à l’ivresse de l’amour et de l’érotisme, des flammes de l’enfer aux langueurs du paradis. Depuis bientôt 200 ans, les interprètes se confrontent à cette œuvre labyrinthique, et ne parviennent dans les meilleurs des cas qu’à en éclairer quelques aspects. Berlioz sera à ce titre notre contemporain pour encore bien des décennies.

Ces limites étant posées, la version de concert proposée à Liège a cependant quelques solides atouts à faire valoir. A commencer par la baguette passionnée de Giampaolo Bisanti. Tout heureux de faire monter sur scène ses forces de l’opéra royal de Wallonie, il semble bien décidé à accentuer les aspects symphoniques et lyriques de cette Damnation. Il dirige d’un geste large, dessine de vastes courbes, et veille à obtenir des contrastes marqués entre passages éthérés (comme la berceuse de Méphisto) et les éclats de la Taverne d’Auerbach ou du Pandaemonium. L’orchestre de l’opéra royal de Wallonie prend un plaisir visible à jouer, mais les subtilités d’écriture le mettent parfois en difficulté, et le pupitre des cordes apparaît à certains moments un peu « court ». Il faut dire que le mélomane a en tête les orchestres les plus prestigieux, qui plus est souvent captés en studio. Signalons cependant l’exceptionnelle qualité des solistes : l’alto solo qui accompagne « la chanson gothique » de Marguerite avec un lyrisme éperdu, ou le cor anglais dans « D’amour l’ardente flamme », qui se fond véritablement avec la voix. Les chœurs de l’opéra royal de Wallonie sont contraints par la disposition des lieux à se tenir assez loin du public. L’impact de leurs interventions s’en ressent, ce qui est dommageable dans une composition où ils sont aussi essentiels. De plus, malgré l’investissement dont ils font preuve, il arrive plus d’une fois qu’ils se prennent les pieds dans le tapis. Les entrées en canon dont Berlioz est friand se muent quelque fois en cauchemar, et le chef a bien de la peine à battre le rappel de ses troupes. Et on aurait souhaité plus d’impact et de sauvagerie dans le chœur des démons. Les trois grands moments de la partition sont cependant à la hauteur des attentes : l’Amen, la Berceuse au bord du lac et l’apothéose de Marguerite.

Le vrai clou de la soirée est cependant la prestation des chanteurs. D’abord le Faust de Saimir Pirgu. Lors de la parution de son premier album solo, il y a dix ans, nous soulignions qu’il devait encore faire la conquête de son aigu. C’est désormais chose faite, et c’est un ténor aux moyens saisissants qui s’avance sur la scène de l’opéra de Liège. La partie purement physique du chant est impressionnante : projection, puissance, élan. Pirgu est capable de remplir la salle de l’opéra jusqu’à faire trembler le sol sous nos pieds. Il est aussi en mesure d’offrir des demi-teintes, des détimbrages, des accents suaves, qui alternent heureusement avec des embardées héroïques. Le tout culmine bien sûr dans une « Invocation à la Nature » inoubliable de vérité, où les éclats du ténor combinés aux déferlements de l’orchestre font presque physiquement toucher du doigt une expérience cosmique. Partout, Pirgu trouve le ton juste, jusque dans son jeu de scène, constamment ombrageux, inquiet, versatile. Son identification au personnage est complète, et on lui pardonne dès lors une prononciation française peu orthodoxe et quelques menues fautes de texte. Le Méphisto d’Erwin Schrott joue à fond la carte de la séduction scénique et vocale. Difficile de résister à ce tentateur qui ressemble davantage à un grand seigneur qu’à un diable cornu. La matière vocale est généreuse, et dispensée à pleines mains. Le léger accent espagnol, qui transforme les « z » en « s » rajoute un charme exotique à celui qui se présente comme « l’esprit de vie ». Partout, la maîtrise musicale, l’air narquois, l’oeil pétillant, l’adresse de celui qui tire les ficelles, et que le chef a décidé de garder en scène pendant toute la fin de la quatrième partie, signe de son rôle central. Il faut aussi mentionner le Brander plein de sève du jeune Louis Morvan, qui parvient à faire exister un personnage truculent et sympathique.

Quels que soient les mérites de nos trois comparses, il doivent chacun céder la première place à la Marguerite de Julie Boulianne. Dans un français parfait, la jeune mezzo québecoise transforme ses trois morceaux en moments de grâce. Une « chanson gothique » à la fois rigoureuse sur le plan rythmique et pleine de souplesse, un duo avec Faust où elle harmonise sa voix chaleureuse avec le métal de Saimir Pirgu pour offrir le portrait d’une vierge qui succombe à l’amour et, sommet de la soirée, son « D’amour l’ardente flamme » où, portée par un orchestre tout en souplesse, elle dépeint le chagrin d’une jeune amante délaissée, dont le cœur bat tant d’espoir qu’il finira par éclater. Et le nôtre en même temps, tant l’émotion est forte. Au cours de cette magnifique soirée liégeoise, malgré ses imperfections, nous avons beaucoup pensé à la phrase extraite des Mémoires de Berlioz : « L’amour et la musique sont les deux ailes de l’âme. »

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Hector Berlioz (1803-1869)
La Damnation de Faust, légende dramatique en quatre parties, sur un texte du compositeur et d’Almire Gandonnière, d’après Goethe, créée à Paris le 6 décembre 1846

Détails

Saimir Pirgu
Faust

Julie Boulianne
Marguerite

Erwin Schrott
Méphistophélès

Louis Morvan
Brander

Marlène Assayag
La voix céleste

 

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Liège, Opéra royal de Wallonie, 28 mars 2025, 20h

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