Annoncé comme une soirée un peu décevante (en cause, les défections de Jean Teitgen et Stanislas de Barbeyrac), ce rendez-vous avenue Montaigne matérialisant l’accord signé entre le Théâtre des Champs-Elysées et Radio France (ce soir-là pour la version de concert de La Damnation de Faust) ne démérita point, sans soulever non plus l’enthousiasme. En cause, l’exiguïté de la scène.
L’on fête cette année le jubilé de l’Orchestre national de France et il se produit ici sous la baguette de son directeur musical, Cristian Macelãru. L’orchestre formé des très nombreux musiciens voulus par Berlioz n’est donc vraiment pas à la fête sur la petite scène du très beau théâtre susmentionné. L’opulence berliozienne, son orchestration savante et inouïe pour son époque passent mal l’avant-scène. Le son semble écrasé en un espace contraint (les cuivres magnifiques dévorant souvent vents et cordes, ces dernières parfois brillantes en échappées solistes) et assez grossièrement amalgamé depuis le parterre. Les musiciens et le chœur ne disposent pas de l’espace nécessaire à l’épanouissement sonore pour rendre justice aux coloris de la fresque. Une certaine lourdeur de la pâte orchestrale en résultera, d’où les solos (du cor anglais ou du hautbois, entre autres) s’échapperont parfois, signalant telle entrée de Méphisto ou telle épiphanie de l’histoire malheureuse de Faust, cette histoire morale, sentimentale et intellectuelle bien proche de celle fantasmée par son créateur, démiurge romantique plus byronien que lamartinien (Berlioz).
John Irvin, pressenti pour remplacer Barbeyrac, livre un Faust aux antipodes de son compositeur. Loin d’être une force aux prises avec la nature, il compose une sorte d’Hamlet mélancolique, velléitaire mais émouvant, fragile mais mémorable malgré une certaine absence de vaillance. Le ténor américain livre ainsi une interprétation d’une belle homogénéité, illuminant d’un timbre non pas très lumineux mais jeune, sa course vers l’abîme de la malédiction. La diction et l’articulation sont très belles malgré quelques erreurs de prononciation mineures des habituelles syllabes vocaliques labialisées, la projection aisée (avec le fortissimo attendu mais sans forçage dans « Nature immense »), le phrasé élégant. Pour ce rôle réputé très difficile, ambigu quant aux vocalités engagées (avec les passages nécessitant un chant barytonnant, et engageant ailleurs les talents d’un ténor belcantiste) John Irvin se sort avec les honneurs des difficultés et livre un joli duo avec Marguerite, réussissant même avec agilité son passage en do dièse dans « Ange adoré ». En bref, il a l’intelligence des rossiniens, et se montre bon connaisseur du style français.
Paul Gay, Méphisto en pantalon rouge vif, régale souvent l’auditoire avec la gourmandise d’un diable doucereux marqué aux coins de l’expérience. Son interprétation d’un rôle non moins complexe, n’outrepassant pas les limites d’une élégance de bon ton, dessine les facettes d’un personnage ironique, effectivement séducteur mais assez peu infernal. Peut-être aurait-on préféré un envoyé diabolique plus ogre, aux embardées moins contrôlées. Se mettant dans les pas d’un orchestre guère galvanisé par une direction très sage, et cependant souple, attentive certainement aux détails et raffinements de l’écriture berliozienne, le baryton-basse opte le plus souvent pour sa tessiture centrale. Il n’est jamais effrayant.
L’énergie et « la grandeur des idées » que réclamait Berlioz dans la musique se retrouve par ailleurs dans le personnage de Marguerite, chanté avec délectation et art par Stéphanie d’Oustrac très investie. Son instrument raffiné a la noblesse et la sensualité attendues (« Ballade des rois de Thulé ») ; elle est particulièrement émouvante dans son grand air aux lignes ici exquises « D’amour, l’ardente flamme ». L’air vivra longtemps dans notre mémoire. Le Brander de Frédéric Caton, avec sa chanson du rat, est drôle à souhait.
Tous deux nous rappellent les deux pôles du romantisme français tels que théorisés par Victor Hugo : le sublime et le grotesque.
Le choeur de Radio France se montre pour ce rendez-vous à la hauteur de sa réputation, il incarne avec son grand talent habituel les paysans et bergers, paysans, soldats ou armée céleste idoines.
BERLIOZ, La Damnation de Faust – Paris (TCE)
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Infos sur l’œuvre
Légende dramatique en quatre parties, opus 24, H 111
Livret de Gérard de Nerval, Almire Gandonnière et Hector Berlioz
Créée le 6 décembre 1846 à l’Opéra Comique
Version de concert
Coproduction Radio France/Théâtre des Champs-Elysées
Détails
Faust
John Irvin
Marguerite
Stéphanie d’Oustrac
Méphistophélès
Paul Gay
Brander
Frédéric Caton
Soprano, soliste du Choeur de Radio France
Claude Margely
Choeur de Radio France
Chef de choeur
Josep Vila I Casañas
Orchestre national de France
Violon solo
Sarah Nemtanu
Direction musicale
Cristian Mācelaru
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, jeudi 21 mars 2024, 19h30
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Créée le 6 décembre 1846 à l’Opéra Comique
Version de concert
Coproduction Radio France/Théâtre des Champs-Elysées
Détails
Faust
John Irvin
Marguerite
Stéphanie d’Oustrac
Méphistophélès
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