Emménageant à Strasbourg pour ses études, l’auteure de ces lignes avait découvert un dispositif formidable qui permit à des générations d’étudiants de profiter à prix très réduits d’une offre culturelle de haute qualité et des émotions esthétiques afférentes : la carte Culture. Cette dernière fête ses trente ans, l’occasion d’investir la Aula – superbe patio couvert du Palais Universitaire de Strasbourg – pour une version concertante du Candide de Bernstein dont une représentation, gratuite, était même réservée cette semaine aux étudiants alsaciens !
Evoquer Leibniz, fut-ce avec irrévérence, à quelques pas de la statue du philosophe et des amphis, amener l’opéra au cœur même d’un lieu emblématique de l’université, voilà une proposition hautement pertinente pour les jeunes artistes de l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin sous la houlette experte de Lambert Wilson. Narrateur ironique à l’humour grinçant, tour à tour cabotin, crooner ou libidineux, le comédien-chanteur campe un Pangloss hilarant de certitudes qui rend l’action aussi limpide que dynamique ; au point que l’absence de mise en scène n’est jamais pesante. Leonard Bernstein lui-même avait d’ailleurs fait le même choix en 1989 dans sa version avec le London Symphony Orchestra.
Ni ennui, ni temps mort, donc, dans cette soirée réjouissante, au diapason des tempi – très – enlevés choisis par l’excellent jeune chef de l’Opéra Studio, Samy Rachid. Ce dernier habite la partition des pieds à la tête, dansant presque face à Orchestre symphonique de Mulhouse à l’interprétation décoiffante, toute en vitalité juvénile, et ce, dès l’ouverture.
Acoustiquement, le lieu n’est pas simple, les artistes ne s’entendent sans doute pas très bien d’où quelques décalages. Sans cesse le chef se penche en arrière vers les chanteurs, accroche leur regard pour donner les entrées, puis pirouette vers l’avant pour soutenir le Chœur de l’Opéra national du Rhin à la pâte sonore opulente même si son anglais n’est pas toujours très clair.
Côté solistes, le Maximilien d’Oleg Volkov impose sa prestance décontractée et la projection puissante d’un organe au grain généreux sans aucun effort apparent.
Liying Yang, quant à elle, prête sa voix riche à la belle autorité au personnage délicieusement dévoyé de la vieille dame.
Nommée Révélation classique de l’ADAMI en 2021, Brenda Poupard collabore régulièrement avec le Poème Harmonique. Elle campe une Paquette tout en fruité que l’on aurait aimé plus entendre, tout comme Andrei Maksimov, impeccable d’autorité vocale ou encore Iannis Gaussin dont le Vanderdendur, félin, matois, révèle un vrai sens comique servi par une projection puissante et percussive.
Tous rejoignent le couple d’amoureux dans des ensembles bien équilibrés où perce le plaisir manifeste de pasticher tous les genres en jouant des couleurs et des nuances.
© DR
La Cunégonde de Floriane Derthe est un concentré de charme en fourreau lamé qui brille également par un timbre charnu, des aigus aussi faciles que ses graves sont bien campés. On perd parfois le personnage quand son œil trahit trop clairement la chanteuse en quête d’un appui pour une entrée mais il ne s’agit là que d’un défaut de jeunesse.
La révélation de la soirée est sans conteste Glen Cunningham qui, tout en assumant la modeste fonction du gouverneur, s’empare avec maestria du rôle titre en remplacement de son collègue, Damien Arnold, malade. Le jeune ténor force l’admiration tant il parvient à se détacher de la partition pour incarner un Candide tout d’ingénuité et de naturel, tant dans l’émission que dans le jeu, rendant l’incarnation naïve totalement crédible, ce qui est loin d’être facile.
Si l’instrument n’est pas démesuré, les forte sont d’une indéniable autorité, les piani délicatement filés dans un remarquable travail des nuances. Le chanteur colore même ses différents personnages d’une palette différente faisant montre d’une intelligence musicale qui force l’admiration.
Le propos universaliste de Voltaire est ainsi porté avec brio par des chanteurs du monde entier : chinois, russe, australien, écossais autant que français dans une version généreuse de cette « farce d’étudiant » qui nous démontre avec jubilation combien les voies de l’optimisme sont impénétrables.