La question peut se poser : un festival international a-t-il pour rôle de présenter de nouvelles productions de spectacles, ou de reprendre des spectacles déjà donnés ailleurs ? Dans le premier cas, que vient faire à Erl cette production de Bianca e Falliero créée à l’Opéra de Francfort en février dernier ? On sait bien sûr que Bernd Loebe est à la fois directeur de l’Opéra de Francfort (depuis 2002) et d’Erl (où il a succédé à Gustav Khun en 2019), mais cela justifie-t-il une telle pratique ? A tout le moins ne serait-il pas préférable de créer les productions à Erl avant de les transporter à Francfort, particulièrement en ce qui concerne un Rossini dont Erl s’est également fait une spécialité avec Wagner ?
© Foto Xiomara Bender
Bianca e Falliero est loin d’être l’opéra de Rossini le plus connu. Il a été créé en 1819, donc bien après les chefs-d’œuvre les plus connus du maître de Pesaro. On lui a reproché, à l’époque, de se copier lui-même, et de proposer une nouvelle œuvre sans rien de vraiment nouveau… Et pourtant, celle-ci nous paraît aujourd’hui injustement oubliée, tant elle propose des airs et des ensembles d’une grande virtuosité. On note seulement trois reprises récentes, à Pesaro en 2005, à Washington en 2008 (merci Jérôme) et à Bad Wilbad en 2015. L’argument est très simple, sur fond de lutte politique entre deux familles, Bianca aime le général Falliero, mais son père veut la marier à Capellio, chef de la famille adverse. S’ensuivent chantages et quiproquos, selon l’habitude du genre, avec ici une fin heureuse.
La production, transposée par le metteur en scène Tilmann Köhler dans une période récente, se déroule dans deux praticables arrondis de 6 mètres de haut, un peu lourds, créés par Karoly Risz, qui s’imbriquent l’un dans l’autre en deux cercles implacables, suggérant l’enfermement des personnages, de la société où ils vivent et des évènements qui s’y déroulent. Mais pourquoi leur avoir ajouté des vidéos hideuses, incompréhensibles et inutiles ? Les costumes de Susanne Uhl ne sont guère originaux, le mariage de Bianca fait penser à celui de Polly dans L’Opéra de Quat’sous, mais c’est surtout Falliero (rôle travesti), habillé au début d’une espèce de battle dress, qui apporte une note plutôt comique dans l’outrance.
© Foto Xiomara Bender
Deux cantatrices font merveilles dans les deux rôles principaux. Tout d’abord Heather Phillips (Bianca), qui a fait ses débuts européens dans le rôle à Francfort. Son interprétation est fine et assurée à la fois, elle joue de son joli soprano parfaitement adapté au personnage, et assure parfaitement les roucoulades de Rossini, bref un régal dans un rôle plutôt difficile. A ses côtés, le Falliero de Maria Ostroukhova est tout aussi convaincant, et l’on retrouve avec plaisir la cantatrice, très à l’aise dans Rossini, qui avait fait merveille en Isabella à Clermont-Ferrand. Son mezzo est puissant, mais elle sait parfaitement le doser et tout particulièrement l’alléger dans le moments voulus, y joignant un jeu scénique parfaitement adapté. Theo Lebow est un Contareno sensationnel, jouant à la fois de la tradition italienne et d’une certaine mise en perspective plus contemporaine. Vif, violent, dominateur, plein de duplicité, il campe une espèce de Louis de Funès rossinien. La voix est idéale pour le rôle, percutante et incisive, bref l’interprète idéal pour ce type de personnage. Giovanni Battista Parodi semble un peu en retrait dans le rôle de Capellio, surtout au début, mais il est vrai que son rôle, plus gentil et conciliant, prête moins aux excès vocaux. Les chœurs sont tout à fait excellents, ainsi que les autres personnages secondaires, et la direction de Simone Di Felice, vive, enlevée, bref parfaitement rossinienne, faisant de la représentation un régal.