C’est avec une nouvelle production de Carmen, créée le soir de la Saint-Sylvestre, que le Metropolitan Opera ouvre l’année 2024 dans les cinémas. A cette occasion l’institution new-yorkaise a joué la carte de la nouveauté et de la jeunesse en confiant la mise en scène à Carrie Cracknell et le rôle-titre à la jeune Aigul Akhmetshina à peine âgée de 27 ans, qui effectuaient toutes deux leurs débuts in loco. A l’instar de Peter Sellars, la réalisatrice britannique, secondée par le décorateur Michael Levine, transpose l’action dans l’Amérique d’aujourd’hui . Ainsi le premier acte se déroule devant une usine d’armement quelque part à proximité de la frontière mexicaine. Le décor représente une façade monumentale dans laquelle s’ouvrent des boxes qui abritent des camions prêts à partir. L’ensemble est entouré de hauts grillages métalliques. Au premier plan des soldats montent la garde. Tout autour évolue une foule bigarrée et cosmopolite. Au deuxième acte, la scène est occupée sur toute sa longueur par le gigantesque camion à bord duquel Carmen et ses complices se sont enfuis. Au cours de l’acte, Escamillo paraît au volant d’une jaguar rouge vif. La remorque, ouverte, abrite une sorte de taverne improvisée. Au troisième acte, situé dans une station-service désaffectée, nous retrouvons le camion couché sur le flanc et partiellement endommagé. Au dernier acte enfin, trônent sur une tournette des gradins métalliques sur lesquels prennent place des spectateurs venus assister à un rodéo. En effet, dans ce spectacle, Escamillo a troqué son habit de lumière pour un costume de champion de rodéo. Sorte de star locale, il entre en scène en posant pour des selfies réclamés par ses fans. Les éclairages, la plupart du temps blafards, de Guy Hoare soulignent le côté glauque des divers lieux de l’action à l’exception du dernier tableau éclairé a giorno. Tom Scutt a vêtu les personnages de costumes contemporains, jeans, bottes ou baskets, T shirt bigarrés.
Cette transposition fonctionne plutôt bien, cependant certaines idées demeurent absconses. On l’aura compris, les contrebandiers se livrent à du trafic d’armes, mais pourquoi la remorque du camion est-elle ouverte à tout vent sur l’autoroute ? Et que vient faire Escamillo à cet endroit-là ? La direction d’acteurs ne brille pas par son originalité. A cet égard, seul le dernier acte est pleinement réussi, Grâce à la tournette, c’est pratiquement devant les spectateurs du rodéo que Carmen et Don José se querellent. Celui-ci tue sa bien-aimée d’un grand coup de batte de base-ball.
Comme toujours au Metropolitan Opera la distribution est extrêmement soignée. Impeccables sont Fredecic Ballentine et Michael Adams qui incarnaient respectivement le Remendado et le Dancaïre. Wei Wu est un Zuniga à la voix profonde et Benjamin Taylor campe avec fermeté un Moralès irascible. Briana Hunter et Sydney Mancasola, parfaitement crédibles an acolytes de Carmen, possèdent des voix sonores, notamment Mancasola dont les notes aiguës dominent les ensembles du deuxième acte. Angel Blue apporte à Micaela son timbre lumineux et homogène qui fait merveille dans son air du troisième acte particulièrement émouvant. En revanche elle a paru en retrait au premier acte où son duo avec Don José privé de conviction tombait à plat. Kyle Ketelsen se glisse avec bonheur dans la peau d’un Escamillo frimeur, au timbre clair et homogène, très crédible scéniquement en star de pacotille portant lunettes noires et veste du cuir au volant de sa jaguar puis en tenue de champion de rodéo entouré de ses admirateurs. Ses couplets impeccablement chantés avec une diction parfaite ont été largement applaudis par le public. Piotr Beczala, au sommet de son art, campe un Don José sensible et touchant. Le timbre est toujours aussi brillant, la diction souveraine et la ligne de chant parfaitement soignée. Il nous a livré une des plus belle « Fleur que tu m’avais jetée » que l’on ait entendue, couronnée par un si bémol piano longuement tenu comme le réclame la partition. Enfin Aigul Akhmetshina brûle littéralement les planches dans le rôle-titre. Très à l’aise sur le plateau, elle évolue avec aisance et naturel, vêtue d’un short en jean et de bottines turquoise. La voix semble puissante, le timbre homogène, possède une couleur cuivrée, par moment métallique, les graves sont émis naturellement. Tout au plus pourrait-on lui reprocher un chant relativement peu nuancé. Son incarnation culmine dans la scène finale au cours de laquelle le caméraman qui alterne les gros plans sur son visage et celui de son partenaire capte la moindre de ses émotions.
Au pupitre, Daniele Rustioni dirige la version entièrement chantée avec les récitatifs de Guiraud et les coupures habituelles, un seul couplet pour le duo Escamillo / Don José par exemple. Le chef italien propose une battue extrêmement fouillée avec des tempi contrastés. Le premier acte dirigé avec beaucoup de retenue, s’oppose au dernier, rapide et brillant. Les deux préludes largement applaudis, sont absolument remarquables.
Le samedi 9 mars prochain le Metropolitan Opera retransmettra dans les cinémas du réseau Pathé Live, La forza del destino avec Lise Davidsen dans le rôle de Leonora.