Retirés de l’affiche au bout de dix-huit représentations lors de leur création en 1863, Les Pêcheurs de perles appartiennent aujourd’hui aux blockbusters du répertoire lyrique – Carmen n’est pas étrangère à ce revirement de popularité. Toulouse programmait l’ouvrage en début de saison ; Anvers le déposait au pied du sapin en décembre ; Bordeaux le reprend dans une mise en scène étrennée à l’Opéra Comique en 2012 et revue plusieurs fois depuis – in loco en 2017.
Ce n’est donc pas la lecture scénique qui surprend dans cette nouvelle reprise même si Yoshi Oïda a fluidifié le mouvement et épuré son approche – plus de flash-back mais un récit toujours fidèle au livret dans un décor en papier marbré vénitien relevé d’accessoires symboliques, à la façon d’une estampe japonaise. Ce paysage lunaire dans les tons oniriques de jaune ocre et d’outremer veut traduire l’exotisme qu’évoquait le continent indien pour le public parisien au Second Empire. A chaque siècle, ses contrées lointaines.
La surprise ne provient pas davantage des solistes. Certes, Mathieu Lécroart n’est pas le Nourabad féroce que l’on nous sert souvent mais le rôle est assez aigu pour que l’on puisse le confier à une voix de baryton. La clarté de la diction et le naturel du phrasé compensent haut la main l’absence de noirceur.
Zurga – dont le nom est ici prononcé à rebours de la coutume tel qu’il s’écrit, et non « Zourga » – trouve en Florian Sempey un interprète auquel ne font défaut, ni la puissance, ni les Sol dièse et les La projetés tels des boulets de canon en voix de poitrine. La déclamation reste hachée mais un appréciable effort de nuance évite au chef des Pêcheurs de sombrer dans la caricature du méchant de service.
Avec Louise Foor et Jonah Hoskins, Bordeaux a fait le pari louable et risqué de la jeunesse. La première impose sa science du chant dans une invocation à Brahma tressée de traits virtuoses et ornée d’un trille délicat. Son soprano fluté doit encore s’étoffer pour surmonter les élans lyriques du deuxième acte puis au troisième, le défi dramatique que représente le duo avec Zurga. Caractérisé par son vibratello, le second fait de Nadir un lointain cousin de l’Almaviva rossinien. Non que la prononciation soit exotique mais la couleur et la hauteur d’émission le démarquent du ténor de style français expert en demi-teinte.
© Frédéric Desmesure
Au bout du compte, c’est la direction d’orchestre de Pierre Dumoussaud qui captive lors de cette première bordelaise. Du crescendo liminaire au couperet final, le jeune chef confirme ses affinités avec ce répertoire – qui lui ont valu de diriger Hamlet à Paris la saison dernière. Parti a été pris d’un retour à la version originale de l’opéra– sans la reprise du motif de la Déesse à la fin du duo entre Zurga et Nadir, ni le trio « O lumière sainte » au troisième acte. L’Orchestre national de Bordeaux Aquitaine fait preuve d’une cohésion et d’une diversité de timbres réjouissantes. Le chœur déploie une large palette de couleurs vives, proches parfois de la saturation. Mais il ne s’agit pas seulement d’hédonisme sonore. Pierre Dumoussaud sait maintenir une pulsation, une tension qui se libère dans des ensembles au souffle épique. « C’est une œuvre extrêmement chorale où le chœur joue un rôle très important et l’orchestre ne lésine sur aucun moyen » explique-t-il dans le programme du spectacle. Preuve en est faite avec brio.