Premier opéra anglais connu, composé par le maître de Purcell cinq ans avant Didon & Enée, ce Vénus et Adonis est un précipité de délicatesse et de tragique condensé en moins d’une heure. Prenant prétexte de ces dimensions qui pourraient passer pour de la désinvolture, le spectacle de ce soir se veut et s’assume improvisé : ce qui aurait dû être une version de concert, a été mis en scène avec un sens assumé du bricolage. Costumes aux drapés empesés trahissant la destination initiale du tissus (les pelisses des bergers sont des tapis de bain), scène enveloppée d’une nape rouge et entourée de roseaux pour accueillir les amours des protagonistes, introduction lue par deux récitants hésitants. Seuls les éclairages vraiment hésitants et mal réglés (impossible de voir le très beau visage de Vénus au dernier acte) gênent, le reste se flatte d’être amateur.
Et cela fonctionne car à l’exception d’un Cupidon au timbre ingrat et fâché avec la justesse, l’équipe artistique enchante par sa simplicité. L’ensemble Masques dirigé avec grâce par Olivier Fortin s’atermoie un peu trop dans l’œuvre de Locke ajoutée en ouverture, puis séduit par son sens du rythme, la couleur de ses pupitres et l’attention portée aux chanteurs. Le chœur est riche de voix assez distinctes et caractérisées qui apportent une sincérité rafraichissante. Au beau mortel, Andrew Santini confère un timbre onctueux, une émission noble et un physique agréable. La déesse de l’amour est incarnée avec un bonheur constant par Sophie Junker : depuis la chaleur juvénile des emportements du premier acte jusqu’à la formidable déploration finale et cette première syllabe du nom de son amant, répétée avec une intensité douloureuse, au point de faire craindre qu’elle ne glisse vers le cri. Rares sont les chanteuses qui peuvent passer de l’élégiaque au tragique avec le même degré d’éloquence.