Le 29 février 2020 le Metropolitan Opera diffusait Agrippina de Haendel dans les cinémas. Quelques jours plus tard, la saison s’arrêtait brusquement pour cause de pandémie. Par la suite, Peter Gelb, le directeur de la première scène New-yorkaise, annonçait l’annulation pure et simple de toute la saison 2020-21.
Ce samedi 9 octobre marquait donc le retour sur les écrans des retransmissions du Met pour la plus grande joie des amateurs venus nombreux regarder Boris Godounov dans la production que Stephen Wadsworth avait signée en 2010, avec une différence cependant : à l’époque c’est la version remaniée de 1872 qui avait été donnée, cette fois, le Met a opté pour celle de 1869 -sans l’acte polonais ni le ballet- qui semble connaître depuis quelques années un regain de faveur puisque l’Opéra de Paris l’avait proposée en 2018 ainsi que tout récemment l’Opéra de Monte-Carlo.
Les décors de Ferdinand Wögerbauer sont à la fois sobres et grandioses, une place, l’entrée d’une cathédrale, un trône de profil dans une grande salle de réception et des toiles peintes où dominent l’or et le pourpre. Au sol, un livre gigantesque que feuillette Pimène, symbolise sans doute l’histoire en marche. Les costumes somptueux qui se déclinent en rouge pour les soldats, jaune, bleu et brun pour le peuple, évoquent l’iconographie russe. Les mouvements de foule sont impeccablement réglés, la direction d’acteurs souligne avec subtilité les rapports entre les personnages.
Ain Anger © Marty Sohl / Met Opera
La distribution est dominée par l’exceptionnelle prestation de René Pape, déjà présent en 2010, qui trouve là l’un de ses meilleurs rôles. Aucun des affects de ce personnage complexe ne lui échappe, Tour à tour autoritaire et inquiet, père aimant et Tsar tourmenté, sa voix bien projetée, capable de cris désespérés au début du monologue final parvient à se faire tendre et feutrée lors de ses adieux à son fils. C’est une ovation amplement méritée qui accueille ce Boris halluciné lors des saluts. Face à lui, Ain Anger n’est pas en reste, il incarne Pimène avec une voix d’airain, dotée de graves somptueux, un legato parfaitement maîtrisé et de subtiles nuances. Son personnage calme et posé tout de blanc vêtu contraste avec celui de Boris habillé de noir et rongé par le remord lors de leur première entrevue. Le Varlaam sonore de Ryan Speedo Green capte sans peine l’attention tandis qu’Alexey Bogdanov complète avec bonheur ce quatuor de clé de fa. Maxim Paster campe avec délectation un Chouiski sournois et fourbe tandis que David Butt Philipp dont ce sont les débuts au Met, fait valoir une voix de ténor solide et bien timbrée en Dimitri. On a reproché à cette version l’absence d’un rôle féminin important, néanmoins Megan Marino parvient à tirer son épingle du jeu dans les quelques apparitions de Feodor grâce à sa voix de mezzo brillante et son aisance sur le plateau. Miles Mikkanen, dans sa brève intervention, brosse un portrait poignant de l’innocent. Les autres seconds rôles sont tous impeccables comme toujours au Met.
Saluons les remarquables interventions des chœurs, protagonistes à part entière dans cet ouvrage.
Au pupitre Sebastian Weigle propose une direction intense et contrastée qui souligne les aspects les plus sombres de la partition sans pour autant négliger les scènes spectaculaires.
Le samedi 23 octobre, le Metropolitan Opera diffusera dans les cinémas du réseau Pathé Live, Comme un feu dévorant renfermé dans mes os, un opéra du célèbre musicien de jazz Terence Blanchard.