En arrivant cette semaine à Monaco, le public de l’opéra – qui, rappelons le, n’a cessé d’être accueilli depuis le début de la saison – a trouvé une Principauté gainée de fer, bordée de glissières de sécurité, hérissée de tribunes, entourée de grillages, et cela jusque sur la place de l’opéra. La préparation du Grand Prix de Formule 1, chaque année, transforme ainsi le petit Etat en circuit automobile.
Nul ne sait qui remportera le Grand Prix, mais nous l’attribuerions volontiers au Boris Godounov que nous avons vu.
Cet ouvrage était présenté, si l’on ose dire, dans sa formule 1 – c’est à dire sa première version de 1869, sans l’acte polonais, sans la présence de Marina ni celle du ballet.
La mise en scène de Jean-Romain Vesperini est d’un parfait esthétisme. Tous les tableaux ont été conçus par la main d’un artiste. La vieille Russie légendaire est restituée sous nos yeux, avec son abondance de costumes, ses visions d’églises à bulbes, ses icônes dorées. Un immense visage de Christ orthodoxe s’étale sur la largeur de la scène, des éclairs sanguinolents zébrent le décor au moment de l’hallucination de Boris. Vesperini a coupé en deux l’espace scénique dans le sens de la hauteur, faisant voir deux scènes superposées. Il signifie ainsi que « le pouvoir (présenté sur la scène supérieure) est basé sur le peuple (présenté sur le plateau inférieur) ». C’est lui-même qui explique cela dans le programme – programme dans lequel il éprouve par ailleurs l’étrange besoin de rappeler que, par deux fois, il est arrivé en finale au concours de recrutement de directeur à l’opéra de Toulouse et à l’opéra de Nice mais qu’on lui a préféré un autre candidat. Dans quel but fait-il passer ce message ?
Une scène partagée en deux dans le sens de la hauteur (Photo Alain Hanel)
Par sa force dramatique et sa richesse vocale, Ildar Abdrazakov est magnifique dans le rôle de Boris. Le voici dans toute sa puissance et son désespoir, l’empereur poursuivi par la hantise du crime, le fauve traqué qui se roule à terre au moment de sa mort !
A ses côtés, le Pimène d’Alexis Tikhomirov nous envoûte par la beauté de ses graves.
Il y a dans la voix d’Aleksander Kravets quelque chose de sournois qui convient au personnage de Chouïski, dans celle de Kiril Belov quelque chose de touchant qui nous émeut dans le rôle de l’Innocent. Nous applaudissons la truculence d’Alexander Teliga en Varlaam et l’autorité d’Oleg Balachov en Grigori.
Bien sûr, en l’absence du personnage de Marina, la distribution féminine fait pâle figure derrière la masculine. Au niveau parité, on n’est pas dans les clous ! Mais Anna Nalbadiants, Natacha Petrinsky et Marina Iarskaïa tiennent fort bien leurs rôles respectifs de Xenia, de l’aubergiste et de Féodor.
Au milieu d’une rafale de sonneries de cloches, le chœur, magnifique, entretient l’ardeur d’une musique flamboyante.
Quant au Philharmonique, en grande forme, il était conduit pas un jeune chef qui a toutes les qualités pour devenir un grand. D’une main sûre et souple, Konstantin Tchoudovski a révélé ce que la musique de Moussorgski recèle de mystère, de drame, d’hystérie – et cela jusqu’au velours de l’ultime crescendo qui enveloppe comme un linceul le corps du tsar anéanti.
Il n’y a de modeste, dans ce spectacle, que le prénom de Moussorgski. Car tout le reste est magnifique.